Alice n’est plus ici

Un film de Martin SCORSESE

Sortie en salles : 27 juin 2012
Visa n°44157
États-Unis, 1974 - 1h52 - Couleur, 1.85
Les droits d'exploitation de ce film sont échus

Alice, âgée de huit ans, rêve de devenir une star… 27 ans plus tard, elle est mariée et mère d’un insupportable gamin. A la mort de son mari, elle part chercher du travail comme chanteuse, et se retrouve serveuse de snack. La chance de sa vie apparaît enfin sous les traits de David, un propriétaire de ranch divorcé.

Alice n’est plus ici - Affiche

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Martin Scorsese - Un génie torturé

Cinéphile passionné et grand admirateur de la Nouvelle Vague, Martin Scorsese s’est imposé comme l’un des plus grands metteurs en scène de sa génération. Cinéaste visionnaire, il tente, par son art, d’exorciser ses angoisses existentielles et sa culpabilité chrétienne.

Né en 1942, il est profondément marqué par son éducation catholique et se destine même à devenir prêtre. Mais il est rattrapé par son amour du septième art et suit les cours de cinéma de la célèbre New York University. Après plusieurs courts métrages, il signe Who’s That Knocking at My Door? (1969), révélant au passage Harvey Keitel et entamant sa longue collaboration avec la chef-monteuse Thelma Schoonmaker. Il retrouve le même groupe d’antihéros, déchirés entre leur foi chrétienne et leur vie de petites frappes, avec Mean Streets (1973), où se distingue Robert De Niro. Un an plus tard, il change radicalement de registre en signant Alice n’est plus ici, portrait désabusé d’une femme qui cherche à s’émanciper. Désormais reconnu comme un cinéaste majeur, Scorsese signe Taxi Driver trois ans plus tard sur un scénario de Paul Schrader : plongée fascinante dans l’univers mental d’un chauffeur de taxi psychopathe, sorte d’ange exterminateur, le film décroche la Palme d’Or au festival de Cannes. Changeant de registre, le réalisateur dirige De Niro pour la troisième fois dans New York, New York (1977), superbe comédie musicale qui rend hommage au Manhattan de l’après-guerre.

En 1980, Scorsese tourne un “biopic” sur le boxeur de légende Jake LaMotta : c’est le choc de Raging Bull. Tourné dans un superbe noir et blanc, le film, considéré par beaucoup comme le chef d’œuvre de la décennie, vaut à De Niro l’Oscar du meilleur acteur. Après La Valse des pantins (1983), satire acide sur la célébrité, le metteur en scène aborde un projet qui lui tient à cœur depuis toujours : raconter la vie du Christ. Mais il traverse alors une grave dépression et se voit contraint d’accepter deux œuvres de commande : la comédie déjantée After Hours (1985) et La Couleur de l’argent (1986), suite tant attendue de L’Arnaqueur de Robert Rossen. Grâce au succès de ce dernier, il tourne enfin La Dernière tentation du Christ (1988), avec Willem Dafoe dans le rôle-titre. Le film déclenche un tollé dans les milieux catholiques extrémistes, y compris en France. Revenant à la mafia, Scorsese enchaîne avec Les Affranchis (1990), également considéré comme l’un des sommets du genre.

Après un détour par l’adaptation littéraire — Le Temps de l’innocence (1993) d’après Edith Wharton —, Scorsese plonge de nouveau dans l’univers mafieux avec Casino (1995), où Robert De Niro et Sharon Stone trouvent deux de leurs plus beaux rôles. Flamboyante reconstitution de la guerre des gangs à la fin du XIXème siècle, Gangs of New York (2002) marque les débuts d’une nouvelle collaboration fructueuse entre le cinéaste et un comédien de génie : Leonardo Di Caprio. Celui-ci incarne ensuite le playboy milliardaire Howard Hughes dans Aviator (2004), somptueux biopic en costumes, avant d’enchaîner avec Les Infiltrés (2006), remake inspiré du polar hong-kongais Infernal Affairs. Salué par la critique, le film vaut enfin à Scorsese l’Oscar du meilleur réalisateur.

En 2010, le cinéaste adapte le best-seller de Dennis Lehane, Shutter Island, thriller magistral, où se côtoient le suspense et la fantasmagorie. Deux ans plus tard, Scorsese s’essaie au film pour enfants, avec Hugo Cabret, magnifique hommage au cinéma des origines et surtout à Méliès.

Ellen Burstyn - L'interprète des femmes désaxées

Cette comédienne qu’on associe généralement au “nouvel Hollywood” des années 70 a débuté comme mannequin, puis comme danseuse. En 1957, elle fait ses débuts à Broadway, tout en suivant les cours de Stella Adler à l’Actor’s Studio. En 1964, elle tourne son premier film, Au revoir Charlie de Vincente Minnelli, mais c’est avec La dernière séance (1971) de Peter Bogdanovich qu’elle perce vraiment et décroche au passage une nomination à l’Oscar. Elle donne ensuite la réplique à Jack Nicholson dans The King of Marvin Gardens (1973), avant de triompher dans L’Exorciste (1973) de William Friedkin, grâce auquel elle est de nouveau citée à l’Oscar.

Cantonnée à des rôles de femmes fragiles ou marginales, elle s’impose dans Alice n’est plus ici (1974), où elle campe une rêveuse brisée par la vie qui reprend goût à l’amour. Si le rôle lui permet de décrocher l’Oscar de la meilleure actrice, il ne la propulse pas à Hollywood. Elle est à l’affiche de Providence (1977) d’Alain Resnais, puis enchaîne plusieurs échecs publics.

Il faut attendre les années 90 pour la voir réapparaître au cinéma, le plus souvent dans des seconds rôles. C’est avec The Yards (2000) de James Gray, où elle campe la mère malade de Mark Wahlberg, qu’elle fait un vrai retour en force, puis avec Requiem for a Dream (2000) de Darren Aronofsky, où son personnage de femme vieillissante accro aux pilules amaigrissantes lui vaut une nouvelle citation à l’Oscar. Elle refait équipe avec ce dernier dans The Fountain (2006), où elle incarne une grande scientifique. En 2008, elle interprète Barbara Bush dans W. — l’improbable président d’Oliver Stone. On l’a vue récemment dans Another Happy Day de Sam Levinson, où elle joue la grand-mère d’une famille particulièrement dysfonctionnelle. Encore un de ces rôles dont elle s’est fait une spécialité au fil des années.

Kris Kristofferson - L'amoureux des grands espaces

Ce diplômé de littérature tente d’abord sa chance dans la musique, en écrivant des chansons de Janis Joplin et Johnny Cash. En 1971, son ami Dennis Hopper lui demande de composer la partition de son film The Last Movie — et d’y faire une apparition. Mais c’est grâce à Sam Peckinpah, qui le dirige dans Pat Garrett et Billy le Kid (1973) et Apportez-moi la tête d’Alfredo Garcia (1974), qu’il se révèle. La même année, il donne la réplique à Ellen Burstyn dans Alice n’est plus ici de Martin Scorsese. Deux ans plus tard, il joue dans le remake d’Uneétoile est née, où il campe un alcoolique vieillissant face à Barbra Streisand. Une expérience douloureuse pour l’acteur…

Après avoir refait équipe avec Peckinpah dans Le Convoi (1978), il participe à l’aventure rocambolesque de La Porte du paradis (1980) de Michael Cimino. Il se tourne ensuite vers la télévision et sera longtemps absent du grand écran. Jusqu’à Lone Star de John Sayles, en 1996, où il campe un shérif assassin. Deux ans plus tard, il est à l’affiche de La fille d’un soldat ne pleure jamais de James Ivory, où il est militaire. On le verra encore dans la trilogie Blade et dans Limbo (1999) et Silver City (2009) de John Sayles.

Alice n'est plus ici - L'illusion de la liberté

Alors qu’il vient de tourner Mean Streets (1973), qui l’impose comme réalisateur phare de la “Nouvelle vague” américaine, Martin Scorsese souhaite changer de registre. Sur les conseils d’un autre cinéaste, tout aussi majeur, Francis Ford Coppola, Ellen Burstyn recommande Scorsese à la Warner. Et contre toute attente, l’homme qui, un an plus tôt, s’était plongé au cœur d’un univers urbain et masculin se passionne pour le scénario d’Alicen’est plus ici : “Je voulais commencer à explorer les rapports et les sentiments entre les hommes et les femmes, voir comment on pouvait gâcher ses rapports avec quelqu’un, puis tomber de nouveau amoureux et recommencer les mêmes erreurs”, confie-t-il.

De fait, Scorsese signe un portrait tout en justesse d’une femme des années 70, déchirée entre son imaginaire “hollywoodien” et le climat de l’époque, propice à l’émancipation. Tout en se défendant de réaliser un film féministe, le cinéaste s’inscrit dans la tradition des “women’s pictures”, ces mélodrames des années 40 centrés autour d’un personnage de femme. On ne s’étonnera donc pas que le metteur en scène revendique un lyrisme digne de Douglas Sirk et qu’il ouvre le film sur un décor éclairé d’un rouge flamboyant, évocateur des classiques en Technicolor de la MGM. Pour autant, Scorsese le cinéphile ne saurait se satisfaire d’une œuvre purement référentielle. Il n’hésite pas à briser l’atmosphère onirique du début en  nous ramenant brutalement à la réalité banale et mortifère de la petite ville du Nouveau-Mexique où dépérit la protagoniste. Car chez le cinéaste, le lyrisme est forcément teinté d’ironie satirique.

Dès lors, le réalisateur articule sa mise en scène autour de deux axes contradictoires : le mouvement constant qu’imprime la mobilité de sa caméra et l’enfermement où il place Alice. Cinéaste de l’énergie — qu’elle s’exprime par un élan vital ou par une violence exacerbée —, Scorsese filme sa comédienne caméra à l’épaule, créant une dynamique autour d’elle, mais la circonscrivant dans le même temps dans un espace clos. D’où ces travellings circulaires qui traduisent l’emprisonnement de la protagoniste et qui suscitent un sentiment d’étouffement. Dans le rôle-titre, Ellen Burstyn, parfait exemple de l’Actor’s Studio, est frémissante de vitalité et de sensibilité, passant de la mère courage à la femme enfant, puis à la femme amoureuse. Une œuvre méconnue dans la filmographie de Scorsese à redécouvrir impérativement.