Five Easy Pieces

Un film de Bob Rafelson

Sortie en salles : 15 février 2012
Visa n°37910
Etats-Unis - 1970 | 1h38 / Couleur / 1.85 / Mono
Les droits d'exploitation de ce film sont échus

Issu d’une famille bourgeoise, Robert Dupea est un révolté. Par réaction contre son milieu, il a renoncé à sa carrière de musicien pour devenir ouvrier spécialisé et vit avec une serveuse nommée Rayette. Pour lutter contre l’ennui, il boit et joue au poker… Un jour, Robert décide de partir vers le Nord, là où se trouve la riche demeure familiale. Il rencontre alors Catherine, la petite amie de son frère…

Five Easy Pieces - Affiche

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Bob Rafelson - Le cinéaste de la contre-culture

Né en 1933, Bob Rafelson renonce très tôt au parcours universitaire prestigieux auquel le destinaient ses parents pour sillonner le monde au gré de ses envies. Il participe à des rodéos en Arizona à l’âge de 15 ans, travaille à bord d’un cargo deux ans plus tard et joue de la batterie et de la basse dans un orchestre de jazz au Mexique à 18 ans ! Il décide d’étudier la philosophie au Dartmouth College, mais abandonne pour devenir DJ pour une radio. Travaillant comme critique de cinéma, il participe également à l’écriture de sitcoms pour la télévision et crée même la série comique The Monkees qui triomphe sur le petit écran dans les années 1966, tout en s’investissant de plus en plus dans le théâtre d’avant-garde new-yorkais.

Après Head (1968), qu’il coécrit avec Jack Nicholson, il signe Five Easy Pieces (1970), portrait d’un jeune homme à la dérive qu’il revendique comme partiellement autobiographique. Si la critique et le public s’enthousiasment, ceux-ci sont nettement plus réservés sur King of Marvin Gardens (1972), toujours avec Jack Nicholson, et Stay Hungry (1976), avec Bruce Dern. Au tournant des années 80, il semble que le cinéaste ait perdu de son inspiration. Aux antipodes de ses films antérieurs, Le Facteur sonne toujours deux fois (1981) est un honnête remake, mais qui n’a pas la liberté de ton des ?uvres des débuts. Et si La veuve noire (1986) est un thriller efficace, Aux sources du Nil (1990), Man Trouble (1996) et Sans motif apparent (2002) passent quasiment inaperçus.

Jack Nicholson - Le rebelle

Avec son allure insouciante et son charisme naturel, Jack Nicholson s’est rapidement imposé comme la figure même de l’antihéros, à la fois rebelle, contestataire et anticonformiste. Pas étonnant qu’il explose dans les années 70, où la contre-culture et la remise en question du modèle américain triomphent. Né en 1937, il décroche un petit boulot à la MGM à l’âge de 17 ans, avant d’être repéré par Roger Corman qui le fait débuter dans The Cry Baby Killer, où il incarne un délinquant. Il poursuit sa collaboration avec ce réalisateur-producteur dans une vingtaine de séries B, puis écrit The Trip pour Peter Fonda et Dennis Hopper, et Head, autour du groupe de pop The Monkees, pour le cinéaste Bob Rafelson. Après avoir refusé Bonnie & Clyde, il campe l’avocat alcoolique d’Easy Rider (1969) qui lui vaut une citation à l’Oscar et une notoriété inégalée.

Dès lors, Jack Nicholson tourne sous la direction des plus grands réalisateurs, de Bob Rafelson (Five Easy Pieces et The King of Marvin Gardens) à Roman Polanski (Chinatown), Michelangelo Antonioni (Profession : Reporter) et Milos Forman (Vol au-dessus d’un nid de coucou) grâce auquel il remporte son premier Oscar. À chaque fois, il incarne des marginaux ou des êtres fantasques et imprévisibles. Terrifiant en écrivain qui dérive lentement vers la folie meurtrière dans Shining de Stanley Kubrick, il est tout aussi à l’aise dans le remake du Facteur sonne toujours deux fois signé Rafelson que dans la fresque Reds de Warren Beatty.

…mouvant dans Tendres passions de James L. Brooks, il obtient une nouvelle nomination à l’Oscar pour L’Honneur des Prizzi de John Huston. En 1990, il incarne le Joker dans le Batman de Tim Burton : le succès est tel qu’il peut enfin réaliser la suite de Chinatown, Two Jakes, où il endosse de nouveau son rôle de détective privé. Si le film est un échec, Nicholson rebondit — comme toujours — avec Des hommes d’honneur de Rob Reiner. Se faisant plus rare sur les écrans, il marque systématiquement de son empreinte les films dans lesquels il se produit. Bouleversant en père désespéré dans Crossing Guard de Sean Penn, il est réjouissant en président loufoque dans Mars Attacks! de Tim Burton ou en romancier maniaque dans Pour le pire et pour le meilleur de James L. Brooks. En 2002, il interprète un policier vieillissant dans The Pledge de Sean Penn, qui enthousiasme la critique, tout comme Monsieur Schmidt d’Alexander Payne. Toujours aussi friand d’expériences nouvelles, il passe du rôle d’un vieux cancéreux en fin de vie dans Sans plus attendre de Rob Reiner à celui d’un redoutable mafieux dans Les Infiltrés de Martin Scorsese.

Five Easy Pieces - …loge de la fuite

À l’aube des années 70, l’Amérique traverse une terrible crise existentielle : non seulement le modèle de la réussite individuelle et de la “prospérité au coin de la rue” est à l’agonie, mais la contre-culture offre des alternatives à l’American way of life, mis à mal par la guerre du Vietnam et les révoltes estudiantines. Deuxième long métrage de Bob Rafelson, Five Easy Pieces est né sur ce terreau-là : tourné en six semaines pour moins de 900 000 dollars, il jouit de la même liberté narrative et formelle qu’EasyRider. Sans construction dramaturgique classique, le film est une magnifique errance à travers des espaces dont la banalité même est signifiante : des bowlings, des terrains pour caravanes, des stations-service, des “diners” ou de sinistres motels, qui semblent échappés d’un album de photos des années 50 de Robert Frank. Une Amérique momifiée, figée dans le conservatisme d’Eisenhower, qui n’a pas su répondre aux attentes nouvelles de la jeune génération. En témoigne la séquence emblématique où Jack Nicholson, attablé dans un restaurant, commande un plat qui ne figure pas sur la carte : lorsque la serveuse lui répond qu’elle ne peut déroger aux règles immuables de l’établissement, Nicholson laisse éclater sa colère. Certes, il a assouvi sa frustration envers un pays immobiliste qui le dégoûte, mais il n’a rien obtenu de plus, comme il le reconnaît lui-même quelques instants plus tard. Car dans ce monde d’une vacuité devenue abyssale, la révolte n’a plus aucun objet. Elle n’est plus qu’une fuite vaine et éperdue, d’un lieu vide de sens à un autre tout aussi dérisoire.

Mais le personnage de Jack Nicholson, qui trouve ici l’un de ses premiers grands rôles, a aussi une forte résonance sociale. Issu d’une famille bourgeoise d’artistes et d’intellectuels, il a rejeté son milieu, frayant désormais avec des ouvriers, des serveuses ou des joueurs de bowling. Néanmoins, Bobby n’est à son aise nulle part et méprise tout autant les musiciens de sa famille que les gens modestes qu’il se plaît à fréquenter. Cette confrontation conflictuelle de types culturels et sociaux opposés est au c?ur du cinéma de Rafelson. Constamment pris en étau et incapable de se fixer ou de s’engager avec qui que ce soit, le protagoniste campe le malaise des Américains qui ne se reconnaissent ni dans la “majorité silencieuse” chère à Nixon, ni dans la communauté hippie. Ne reste alors que la fuite…