Grand Prix du Festival de Cannes 1964

LA DOUCEUR DU VILLAGE

Un film de Francois REICHENBACH

Sortie en salles : 19 avril 2017
Visa n°27632
Durée : 47mn | Pays : France | Date : 1964 | Couleurs / 1.85 / Mono

Loué, petite ville, à quelques kilomètres du Mans, François Reichenbach étudie le comportement des différents groupes sociaux qui la composent à travers l’activité de son instituteur et nous fait vivre la douce vie d’un jeune écolier de campagne.

LA DOUCEUR DU VILLAGE - Affiche

La douceur du village : D'hier et d'aujourd'hui

C’est une plongée rafraîchissante dans une France qui a pour ainsi dire disparu. Arrêtant ses pas dans le village de Loué, à quelques kilomètres du Mans, le citadin François Reichenbach évoque, sans le moindre regard paternaliste, les grandes étapes de la vie de Français ruraux en seize “leçons de choses”. Avec humour et tendresse, il s’attache à un instituteur-citoyen qui, en formidable passeur et dépositaire du savoir, détaille à sa classe de garçons l’importance du mariage, l’omniprésence des commerçants au village, le caractère inéluctable de la mort, ou encore le comportement décent qu’il convient d’adopter avec les filles.

Cette radiographie d’avant mai 68 d’un bout de France coincée entre tradition et modernité n’est bien sûr pas sans rappeler le cinéma ethnographique de Jean Rouch et préfigure le point de vue humaniste d’un Raymond Depardon. Peu à peu, le protagoniste-narrateur, petit bonhomme vigoureux et charismatique, s’improvise “raconteur d’histoire” et introduit une dimension fictionnelle au cœur du documentaire. On pourrait ainsi s’intéresser à la trajectoire de ces deux jeunes amoureux et les laisser nous entraîner dans leurs aventures, ou encore comprendre quelle a été la vie de ce défunt qu’on enterre aujourd’hui… Le tout accompagné par la musique enlevée et mélodieuse de Michel Legrand.

Reichenbach nous invite donc à découvrir une France enclavée en passe d’accéder au “confort moderne”, comme on l’appelait dans les années 60. Grâce à la voiture, à la radio et à la télévision, notre instituteur explique que les cultivateurs, nombreux dans la région, n’auront plus rien à envier aux citadins. Reste une question d’une formidable actualité à laquelle le narrateur – et donc le réalisateur – ne répond pas. Consacrant l’une de ses leçons aux “nomades”, il s’interroge : “faut-il leur interdire le territoire et le droit de stationner ?” On ne peut évidemment s’empêcher de songer au sort des migrants d’aujourd’hui et à la précarité de leur statut. Finalement, sous ses airs de flânerie insouciante, La douceur du village est un document bien plus politique qu’il n’y paraît. Rien d’étonnant à ce qu’il ait obtenu la Palme d’Or du court métrage au festival de Cannes. Passionnant, donc, en plus d’être rafraîchissant.

François Reichenbach : L'infatigable arpenteur du monde

Témoin privilégié de son époque, François Reichenbach, enfant de la Nouvelle Vague, a signé de nombreux documentaires essentiels aux quatre coins du monde. Mais c’était aussi un mélomane passionné qui a consacré des portraits sensibles à d’immenses musiciens comme Yehudi Menuhin, Arthur Rubinstein ou Barbara.

Né en 1921, il est issu d’une grande famille d’industriels et grandit entouré d’artistes comme Derain, Vlaminck ou Jacques-Henri Lartigue.  Après des études de musique, il est conseiller technique auprès de musées américains pour l’acquisition de toiles de maître en Europe. Observateur insatiable de tout ce qui se passe autour de lui, il réalise en 1955 son premier court métrage, Impressions de New York, sans la moindre connaissance technique. Pour autant, le grand producteur Pierre Braunberger accepte de le produire. Sa carrière de documentariste est lancée.

En 1964, La douceur du village décroche la Palme d’Or du court métrage. Conseillé par Chris Marker, qu’il surnomme son “témoin honnête”, il parcourt le monde sans jamais se départir de sa caméra. Il s’intéresse plus particulièrement à trois pays : les États-Unis, le Japon et le Mexique. En 1977, Sex O’Clock USA explore les pratiques sexuelles des Américains, tandis qu’en 1981, Houston, Texas : le prix d’une vie s’interroge sur la peine de mort. Jamais le documentariste ne porte de jugement normatif : il s’affiche avant tout comme un témoin.

Avec un sens du détail qui n’appartient qu’à lui, il repère les frémissements propres aux mutations de son époque. Tout comme La douceur du village, 13 jours en France (1968), autour des Jeu Olympiques de Grenoble, brosse le portrait d’une France en train de disparaître. Dans Les Marines (1957), il s’intéresse à des hommes prêts à mourir au combat à un moment où l’être humain devient machine de guerre. Sans oublier, bien entendu, ces inoubliables portraits d’artistes de Brigitte Bardot, à Orson Welles et Rostropovitch. Des films inclassables où la fiction se mêle au réel, comme Vérités et mensonges qu’il coréalise avec l’auteur de Citizen Kane. En 1987, l’Académie française lui décerne le Grand prix du cinéma en hommage à son œuvre.

TEXTE : Franck GARBAZ