LES ROSEAUX SAUVAGES
Un film de André Téchiné
Sortie en salles : 2 juillet 2025
1994 | France | Drame, Romance | 110 | 1,66 | Dolby
Couleur
En 1962, en pleine guerre d’Algérie, alors que les attentats OAS se multiplient, l’intrusion d’un garcon pied-noir exilé va bouleverser la vie paisible de l’internat du lycée où il est accueilli.

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A propos du film par Olivier Père
Les Roseaux sauvages est un titre charnière dans l’œuvre d’André Téchiné. Le film lui offre l’occasion de se réinventer et de trouver un second souffle. Au départ, il y a une commande de la chaîne ARTE qui invite Téchiné à participer à une collection, « Tous les garçons et les filles de leur âge ». Cette collection, initiée par Chantal Poupaud et Pierre Chevalier, réunit des téléfilms d’auteurs d’une soixantaine de minutes sur le thème des souvenirs d’adolescence. Le cinéaste accepte à condition de pouvoir également sortir son film en salles, dans une version plus longue. C’est ainsi que Le Chêne et le roseau devient au cinéma Les Roseaux sauvages, salué par la critique et le public après un passage par le Festival de Cannes.
Cette proposition coïncide avec l’envie de Téchiné d’explorer une période de sa jeunesse liée à la fois à la découverte de son homosexualité, et aux conséquences de la guerre d’Algérie, avec le retour en métropole de familles pied-noir. La mort rôde – certains appelés ne reviendront jamais – mais aussi le désir, qui circule entre les adolescents, filles et garçons, toutes tendances politiques confondues. Téchiné mêle ainsi l’intime et l’historique, et reste fidèle à son goût du romanesque. Il dessine à la fois le portrait d’un jeune homme dont l’identité sexuelle et intellectuelle se construit, et la séquence d’un pays bousculé dans ses certitudes.
Tourné en état de grâce, avec une économie de moyens qui apporte au film une énergie juvénile, Les Roseaux sauvages est une oeuvre sensuelle et lumineuse qui révèle de nouveaux visages (Elodie Bouchez, Gaël Morel, Stéphane Rideau), dans la nature accueillante du Sud-Ouest, chère au cœur de Téchiné. Le cinéaste, amoureux de ses paysages et de ses habitants, la retrouvera régulièrement – voir son dernier film en date, L’Adieu à la nuit, tourné dans les Pyrénées-Orientales.
ENTRETIEN AVEC ANDRÉ TÉCHINÉ
Pourquoi Les roseaux sauvages après Ma saison préférée ? Ya-t-il un lien entre ces deux films ?
Non, le seul lien entre les deux films, c’est le Sud-Ouest. Peut-être qu’après avoir parlé du vieillissement dans Ma saison préférée, j’ai eu envie de construire un pont avec la jeunesse…
Vous avez donc puisé dans vos souvenirs personnels…
Effectivement, en 1962, au moment de la fin de la guerre d’Algérie et de la signature des accords d’Evian, un élève pied-noir a débarqué un beau matin au lycée. lI nous a fait prendre conscience, dans ce coin perdu de la France profonde, de l’existence d’une guerre qui nous paraissait lointaine et abstraite… je suis parti de là.
Quel genre d’adolescent étiez-vous ?
J’aimais bien tout ce qui n’était pas de mon âge.
Apartir du moment où on me disait que j’étais trop jeune pour voir tel film ou lire tel livre. ça excitait terriblement ma curiosité… j’avais hâte de comprendre les adultes et d’en savoir autant qu’eux sur les grands sujets de la vie.
Dans le film, vous évoquez Demy et Bergman. Quel cinéphile étiez-vous ?
Je m’occupais très activement d’un ciné-club, j’étais très radical. C’était l’époque de la Nouvelle Vague, de Bergman et d’Antonioni. C’était une époque de rupture et de renouvellement. Les débats sur le cinéma étaient passionnés. C’était très vivant mais je tiens à préciser que je dis tout cela sans idéalisation, comme un témoignage simple et direct…et je n’ai surtout pas voulu faire un film nostalgique…
Comment appréhendiez-vous à l’époque le problème algérien ?
Je venais d’une école religieuse et j’étais tombé dans un lycée où certains professeurs étaient marxistes… cela a été une grande découverte pour moi. une sorte d’émancipation intellectuelle… Avant, j’avais sur la guerre d’Algérie un point de vue progressiste, style catho de gauche, nourri par le Bloc-Notes de François Mauriac.
Les opinions des enseignants communistes m’ont fait bouger et puis tout à coup il y a eu un autre son de cloche. l’intrusion d’un jeune pied-noir partisan de la terre brûlée et de l’O.A.S..
Faut-il laisser passer un certain temps pour parler des brûlures de l’Histoire et aussi des brûlures personnelles ?
Ce n’est qu’après-coup qu’on parvient à parler des choses, à cerner dans quelle confusion on les a vécues et à donner une forme à cette confusion….en respectant les intensités bien sûr. L’adolescence est un âge où l’on est forcément introverti, entre le deuil de l’enfance et la peur de devenir adulte et de ne pas être à la hauteur… Le cinéma permet de mêler idéalement et concrètement tous les âges de la vie. Je rêve toujours d’un film où j’y parviendrais mais pour l’instant je procède encore par fragments… Peut-être que j’ai simplement fait Les roseaux pour corriger le traitement des jeunes de Ma saison que j’avais trop sacrifiés.
Dans quel personnage du film faut-il vous reconnaître ?
Je suis un peu dans tous les personnages de mes films. J’ai besoin de partager leurs sentiments, de me mettre à leur place. C’est à travers eux, vers ce qui circule entre eux que je me raconte. C’est mon hystérie. Mais ici, c’est évidemment de personnage de François qui m’est le plus proche par el caractère. C’est une sorte d’alter-ego, un autre moi-même d’un autre âge, un ancêtre.
Les deux autres garçons, le pied-noir et le jeune paysan exercent une véritable fascination sur lui…
Ces deux garçons sont vraiment très éloignés de lui. Ils ne lui ressemblent en rien. Ils sont vraiment des ” autres”. Ils servent de révélateur à son propre désir. C’est grâce à cette rencontre avec ces deux garçons que François va faire, non sans violence, ses premiers pas dans le monde des autres… dans le monde sexuel et politique…
Vous aviez déjà abordé ces thèmes ? Le sexuel et le politique…
Oui mais je voulais faire un film qui ait le sens du concret, un film absolument pas théorique… C’est le danger à partir du moment où l’on parle de sexe et de politique… Je voulais être fidèle aux sentiments, aux mensonges des sentiments, au plus près de l’expérience des personnages car c’est ça qu’il fallait restituer… Si Les roseaux ne témoigne pas et ne débouche pas sur el goût de la vie, ça n’a pas de nécessité…
Nous sommes dans les années 60 mais ces jeunes sont déjà modernes dans leur langage et leur approche de la vie.
Ils sont confrontés directement ou indirectement à la guerre… c’est le fil conducteur.. le spectre de la guerre civile… et la réalité du métissage… du métissage des idées et des corps… c’est de ça que parle le film… je ne sais pas si c’est moderne ou non… le ne voulais surtout pas faire une reconstitution maniaque de l’époque, ça ne m’intéressait pas du tout. De toutes façons, il faut toujours affirmer que c’est dans le présent qu’on construit el passé.
Propos recueillis par Martine Moriconi