Carlitos Medellin

Un film de Jean-Stéphane Sauvaire

Sortie en salles : 27 octobre 2004
Visa n°103968
Titre original : "CARLITOS 13 MEDELLIN" | France - 2003 - 75 min. - Format 1:2,35 - Scope couleur - Dolby SR
Les droits d'exploitation de ce film sont échus

Carlitos 13 ans, vit à Medellin, Colombie

Sa mission : Sauver son quartier de la violence et de la guerre .

Son arme : Une statue de la Sainte Vierge.

Confessions à la Vierge Maria Auxiliadora, dans un quartier où les enfants, persécutés par la guérilla, tuent pour survivre et protéger leur indépendance.

Carlitos Medellin - Affiche

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À PROPOS DU FILM

Un oeil naïf, un sourire aux anges, un corps de plâtre peint de couleurs gaies… Dans les attributs de sa statue de la Vierge, le petit Carlitos, 13 ans, a trouvé une solution au problème de la violence de son quartier de Medellin. Il porte Marie, la toujours muette, chez les uns et chez les autres pour qu’ils se libèrent par la parole de leurs souffrances. Une psychanalyste mobile. Larmes toujours, prières, confessions, les habitants de Medellin vivent la guerre des gangs au quotidien entre trafic de drogue et réglements de compte; ils y ont tous perdu quelqu’un. Terribles images de ces corps d’adolescents criblés de balles, entreposés à la morgue de la ville…

Les mots de Carlitos et de ses voisins m’ont portée avec bonheur et tristesse au coeur de cette Amérique Latine que je connais bien, là où il faut croire à des lendemains qui chantent. Même si la Vierge ne vous répond pas. Danielle MitterrandLa Colombie se caractérise par des violations massives et systématiques des droits humains dans un contexte d’impunité totale. Plus de 300 000 armes illégales circulent dans Medellin, ville de deux millions d’habitants. Principales victimes, les jeunes, une génération entière sacrifiée, plus de 40 000 sont morts. Les quartiers sont devenus d’invivables lignes de front… L’enjeu principal pour les groupes armés : le contrôle de ces stratégiques faubourgs de misère,celui du trafic d’armes et de drogue, des stations de bus et de petits commerces des quartiers, systématiquement rançonnés… A Santo Domingo Savio, les jeunes ont à lutter contre les miliciens des FARC(Forces armées révolutionnaires de Colombie), le plus ancien et le plus puissant mouvement de la guérilla d’Amérique Latine, récemment inclus sur la liste noire des organisations terroristes de l’Union Européenne…

« Vis ta vie aujourd’hui même si tu meurs demain » disaient-ils. Aujourd’hui, la plupart des enfants de ce quartier qui ont participé au film ont été assassinés…

Origine du film

Au commencement, une envie, celle de faire un film de fiction en Colombie, sur ceux que la presse avait baptisés les « enfants tueurs à gages de Medellin ». La lecture d’articles, de témoignages de ces enfants me fascinent et m’interpellent. Leur rapport à la mort, la violence à laquelle ils sont confrontés et leur lien très fort à l’image de la mère, sont comme un écho à ma propre vie, à ma propre enfance. Je vois là la possibilité de faire un sujet très personnel, bien que dans une autre culture et sur un autre continent. La violence, les armes, la drogue, les meurtres, les mafieux, autant d’éléments utilisés par le cinéma, vécus par les gamins de Medellin. Intime mélange entre des clichés hollywoodiens et une réalité terrifiante. En octobre 2000, avec Nicolas Daguet,producteur, qui a lui aussi un lien très fort avec la Colombie, nous décidons de partir à Medellin, pour connaître la viabilité d’un tel projet.

Premiers repérages

Repérages dans les prisons pour mineurs, centres de réinsertion, morgues, ONG,… Les gens sont ouverts, réceptifs, et malgré une violence omniprésente et sourde, la possibilité de faire un film dans les « communas », quartiers populaires qui surplombent Medellin, nous paraît envisageable. Je rencontre Mauricio, 13 ans, un gamin bouleversant, plongé au coeur du conflit, à fleur de peau, en survie permanente, qui correspond exactement à l’image du personnage principal du film que j’ai en tête. L’histoire se concrétise, j’écris.

Départ

En janvier 2001, on décide de partir, Nicolas et moi, sans financement, avec un scénario, une caméra numérique, un DAT et la rage de faire ce film coûte que coûte. On se replonge dans cette violence. Premier choc, on apprend que Mauricio s’est fait tué dans une rixe. Repérages intensifs à Medellin. La situation dans les quartiers semble avoir considérablement évolué depuis la mort de Pablo Escobar fin 1993. Certaines bandes sont aujourd’hui contrôlées par la guérilla, par les FARC, d’autres par les paramilitaires, certaines se sont orientées vers la délinquance pure, finie l’époque mafieuse et dorée Don Pablo, où les gamins vivaient au rythme de Scarface. La mort, ritualisée par la culture des narcotrafiquants, a fait place à une certaine fatalité. Les gamins nous montrent leurs armes, exhibent fièrement leurs cicatrices comme des trophées, racontent leurs aventures. Je ne retrouve pas tout à fait le climat de mon histoire, mais quelque chose de plus cru, de plus désespéré. Un seul endroit nous est fortement déconseillé, interdit, ce quartier s’appelle Santo Domingo Savio…

Santo Domingo Savio

Ce quartier a connu son heure de gloire à l’époque de Pablo Escobar dans le milieu des années 80. Escobar y recrute, y paie des mineurs comme tueurs professionnels… c’est la création de violentes bandes armées jusqu’à sa mort en 1993. Depuis, la réputation du quartier n’a pas changé… On contacte le curé du quartier. Rendez-vous pris le jour même à l’église de Santo Domingo Savio, dans les hauteurs de la ville. Devant le refus des taxis d’aller dans cette zone, on prend le bus. Seuls les bus sont contraints de traverser les différents secteurs des communas. Postés à l’entrée de leurs quartiers respectifs, les jeunes surveillent qu’aucun ennemi d’une bande rivale ne se cache à bord, sinon, une seule règle, le faire descendre et le buter, là, devant tout le monde… A la paroisse, le Padre Vicente Arestrepo nous fait attendre, il a trois messes d’enterrement à donner le même jour, « des enfants, dit-il désespéré, encore des enfants… ». Le prêtre nous met fortement en garde du danger qu’on encourt. Cependant il nous présente José, qui lui seul semble pouvoir nous aider dans cette démarche. Avec son physique proche de Jésus, José est connu comme être le « père » de tous les gamins…

Premiers contacts

José se sent d’emblée investi d’une mission, nous accompagner dans la réalisation de ce film. Il nous fait visiter le quartier, rencontrer les gens, avec cette sincérité et cette générosité qui le caractérisent. Il y voit une possibilité de montrer à travers le cinéma ce qu’ils endurent au quotidien, l’impasse dans laquelle ils sont enfermés, et peut être qui sait, faire que les choses changent…. Après quelques jours, l’accord nous est donné par les chefs de la bande, la « 29 », de tourner à Santo Domingo. On se fait très vite accepter, on se sent en confiance, peut être trop, dans ce quartier qui nous paraît si étrangement paisible… En arpentant les rues de Santo Domingo, sans même s’en rendre compte, à seulement quelques rues de là, on se retrouve dans la zone ennemie, chez les miliciens…

Menace des miliciens

Quatre jeunes armés nous tombent dessus, et nous barrent le passage. Ils nous demandent de les suivre, de façon agressive. Naïvement, on leur demande « pourquoi ? », mais visiblement, à leur ton, on comprend qu’ils n’ont pas de temps à perdre, et, armes en avant, ils nous conduisent à deux pas de là, derrière une maison, dans un cul-de-sac loin de tout regard. On essaye tant bien que mal de s’expliquer, un afflux de mots enchevêtrés sortent précipitamment de la bouche de Nicolas, comme sa seule arme de défense devant la peur de mourir. Leur chef l’interrompt, nous dit savoir exactement qui nous sommes et ce que nous sommes venus faire. Il nous menace, nous explique avec froideur et détermination qu’ils peuvent nous abattre ici, tout de suite, et que personne n’en saura jamais rien… Deux ados nerveux gardent l’entrée du cul-de-sac, empêchant toute tentative suicidaire de fuite. On représente visiblement à leurs yeux une valeur marchande intéressante et on sent que tout peut basculer très vite. Cherchant à éviter que notre regard tombe sur ces armes pointées sur nous, nous sommes vite à bout d’arguments face au discours de plus en plus politique de ce milicien. Ambiance électrique et interminable… Soudain, comme une sonnerie salvatrice, le talkie-walkie du chef coupe court à cet interrogatoire tendu. Il est obligé de partir, mais nous ordonne de nous mettre au plus vite en relation avec lui, par l’intermédiaire du curé, « pour reprendre cette discussion, dit-il, sinon »… Ils partent en courant sur ce sous-entendu qui en dit long, nous laissant seuls, enfin libres, reprenant nos esprits.

De la fiction au documentaire

Le lendemain matin, à l’hôtel, Nicolas craque. Il dit avoir peur, peur de mourir, peur pour son fils, il veut tout arrêter et me demande si je suis prêt à continuer seul. Malgré cet incident, je n’ai pourtant pas envie d’arrêter là, on a été déjà trop loin. Faire un film de fiction dans ces conditions, au milieu d’une violence omniprésente me paraît cependant de plus en plus dérisoire, voire indécent. N’étant pas journaliste, je pars sur l’idée d’une Sainte Vierge comme personnage principal du film, comme « intervieweuse », une Vierge qui aurait décidé de faire une visite à Santo Domingo, véhiculée par un enfant, pour recueillir les préoccupations et souffrances des gens de son quartier. Ne pas chercher à expliquer cette violence, mais la faire ressentir, la faire partager, dans sa quotidienneté et sa proximité. Comme le dit le sociologue Wolgang Sofsky, « la violence absolue n’a pas besoin de justification. Elle ne serait pas absolue si elle était liée à des raisons. » L’idée sera de raconter une violence intérieure, bien plus qu’une violence extérieure, laissant aux gens la liberté de raconter ce qu’ils ont sur le coeur. Ce qui m’intéresse avant tout, c’est de faire un film sur la peur, la douleur, la déchirure et la mort. Nicolas, tenté par l’idée, et réconforté par le fait de partir quinze jours plus tard, accepte. Nous revoilà partis, cette fois avec notre statue de la Vierge Maria Auxiliadora, à arpenter les rues de Santo Domingo…

Tournage

Pendant plus de deux semaines, accompagnés par José et Davidson, un gamin du quartier, investi de sa mission, exhibant fièrement son tatouage de la Vierge, nous rentrons dans les maisons et les gens se confessent. Pas une seule famille qui n’a pas perdu quelqu’un de proche, la douleur est sous chaque toit, dans cette vallée qu’ils nomment eux-mêmes « la vallée des larmes »… Certains ont au début comme une gêne ou une timidité face à cette statue de la Vierge entrée par effraction chez eux, mais très vite, la souffrance qui les submerge se déverse sans qu’ils ne puissent arriver à la contenir. Leur confession devient une nécessité, un besoin, quelque chose de salvateur, presque de psychanalytique… On est pris au jeu, on commence à se familiariser et à s’habituer à cette violence, aux rafales permanentes et inattendues, on se sent concerné par le conflit, avec cette envie de plus en plus brûlante d’y prendre part…

Morgue

A la morgue de Medellin, lorsque nous arrivons pour y tourner, la salle des corps, l’amphithéâtre comme il l’appelle là-bas, est plein. Les vingt tables carrelées sont occupées. Que des adolescents. Les seuls qu’on nous autorise à filmer sont ceux qui n’ont pas encore été identifiés par leurs familles. Je n’ai volontairement pas voulu filmer les enfants avec les armes, les fusillades, les cadavres sur le trottoir, le sang. Les seules pièces nécessaires au puzzle pour comprendre la réalité de la mort, et la coller aux discours, aux confessions, aux larmes, seront les innombrables photos des jeunes sur les pierres tombales au cimetière, et la morgue, image brutale et soudain réaliste que les mots ne sauraient décrire.

A nouveau les miliciens, …

C’est en rentrant d’un des jours de tournage qu’ils sont montés dans le bus dans lequel on était seuls, à l’avant, en partance pour le centre ville. Trois types armés ont sauté en marche. Ils étaient nerveux, paraissaient défoncés, tentant de dissimuler leurs crosses de revolvers sous leurs blousons… Un ordre bref au chauffeur tétanisé et une réponse dans leur talkie caché dans leur manche : « ça y est, on va descendre avec les barons ! »… Nous n’avons pas dit un mot, même pas un regard. Un des miliciens a sorti son revolver, l’a armé… Puis soudain, un arrêt brusque du bus et tout s’accélère… Les miliciens dégainent rapidement leurs armes et sautent du bus, tirant sur un jeune homme qui tente de fuir sous l’assaut des balles. Des cris, des gens qui se réfugient chez eux, des rideaux de fer qui se ferment, et nous, silencieux, immobiles dans le bus qui s’est empressé de repartir… A ce moment on a compris que le tournage devait s’arrêter. On est revenu une seule fois à Santo Domingo Savio, saluer les gens, puis on est parti, avec un certain sentiment de lâcheté, les laissant là, à leur propre sort, après avoir partagé avec eux ces moments si forts, si intimes, sans pouvoir rien faire…

Qu’il ne nous soit rien arrivé pendant ces trois semaines à Santo Domingo, certains attribuent ça à un miracle, José, nous soutenait que c’était grâce à la protection de la Sainte Vierge, je crois avec le recul que c’était surtout de l’inconscience de notre part liée à un besoin devenu vital de faire ce film. Pourquoi la guérilla a choisi de nous épargner, nous ne le saurons jamais…

Montage

Juin 2001, retour à Paris. Je me replonge dans les images brutes, sans véritablement de recul. Les confessions me reviennent en pleine face. Je fais appel à des amis monteurs qui viennent m’aider, et le film se construit peu à peu, dans le temps. En cours de montage, nous avons des nouvelles alarmantes de Santo Domingo…

Nouvelles de Colombie

En juillet 2001, trois mois après notre tournage, les miliciens ont décidé d’en finir avec ce quartier qui continuait de leur résister. En force, un matin à l’aube, près de deux cents hommes envahissent les petites rues de Santo Domingo avec une artillerie lourde, et en prennent rapidement possession. Comment résister devant un tel déploiement ? Certains ont le temps de s’enfuir, les autres seront assassinés un à un. Leurs morts me font mal. Il faut que tout cela s’arrête. Le seul moyen pour nous de lutter sera de montrer le film. Il doit leur rendre hommage.

Voix off

Je décide de rajouter une voix-off au film, pour rendre compte de cette effroyable hécatombe. Nous nous mettons à la recherche de Davidson, alias Carlitos, depuis la France. Personne ne peut nous renseigner. Je reprends sa confession, et la met sur papier. Je demande parallèlement à une classe d’un quartier voisin de Santo Domingo, de travailler sur des lettres à la Vierge. Avec ces lettres, avec certaines réflexions de confessions de gamins que je n’ai pas monté dans le film, et avec surtout celle de Davidson, j’écris la voix off comme une lettre à la Vierge, en cherchant à ne jamais le trahir, en gardant ses mots. Nous l’enregistrons à Paris avec un jeune garçon de Medellin, récemment débarqué en France fuyant la violence de son pays.

Davidson

En janvier 2004, Nicolas est retourné à Santo Domingo, à la recherche de Davidson. Toutes les maisons sont occupées par d’autres familles, comme si rien n’avait jamais existé. Le président actuel, Uribe, dit tenir une guerre sans merci à la guérilla, ce qui semble avoir un peu calmé la situation de ces quartiers, mais rien n’est pourtant encore réglé. Grâce à la tante de Davidson, revenue trois mois auparavant à Santo Domingo, Nicolas retrouve sa trace et réussi à le revoir. Il travaille aujourd’hui avec son père, comme couvreur. Ils habitent ensemble un autre quartier. Il n’est jamais retourné à Santo Domingo, et n’y retournera jamais, « de peur de se faire tuer », dit-il, « si les autres me voient, ils m’abattront… »

Le film l’a troublé, ému, comme une trace de son enfance qu’il a abandonné là, un souvenir de ses potes disparus, une tragédie qu’il n’oubliera jamais et dont il prend brutalement conscience d’être l’un des rares a avoir survécu…

Le film est dédié à tous les enfants victimes de cette guerre, à Mauricio, Mariluz, Pioline, Diana, Jonatan, Francisco, Andréa, et bien sûr à toi, Davidson.