Import Export

Un film de Ulrich Seidl

Sortie en salles : 7 janvier 2009
Visa n°117820
Autriche 2007, 135 min, allemand/russe/slovaque

Deux trajectoires évoluent dans des directions opposées. Olga, jeune infirmière ukrainienne, part à la recherche du bonheur à l’Ouest où elle devient femme de ménage dans un service gériatrique en Autriche. Paul était agent de sécurité à Vienne. Au chômage, il prend la route avec son beau-père vers l’Est, en direction de l’Ukraine. Deux destins de jeunes gens à la recherche d’une nouvelle chance, qui se voient confrontés à la réalité crue.

Deux histoires sur la quête du bonheur et de l’argent, sur le côté effrayant de la sexualité, de la mort et sur l’art de brosser les dents d’un renard empaillé.

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Entretien avec Ed Lachman

L’Américain Ed Lachman est un des caméramans les plus polyvalents du cinéma contemporain. Il a commencé à travailler dans les années soixante-dix, à l’âge d’or du cinéma d’auteur allemand, notamment avec Werner Herzog, Wim Wenders et Volker Schlöndorff. Ultérieurement, il a travaillé aux …tats-Unis dans des productions à succès, en particulier Erin Brockovich, seule contre tous de Steven Soderbergh avec Julia Roberts. Récemment, il a collaboré avec des réalisateurs américains indépendants sur des films à succès tels que Virgin Suicides de Sofia Coppola, I’m Not There de Todd Haynes et A Prairie Home Companion de Robert Altman. Ed Lachman, qui était aussi co-réalisateur de Ken Park de Larry Clark, a collaboré au total à soixante-deux documentaires et films de fiction.Ulrich Seidl est connu pour son perfectionnisme. Ce qui ne l’empêche pas d’être ouvert aux suggestions de gens compétents. …tiez-vous prêt à vous investir dans le contenu du film ?La force d’Ulrich, c’est de raconter une histoire en utilisant des tableaux qui permettent au spectateur d’accéder à cette histoire. Presque comme quand on entre dans une pièce ou comme quand on marche dans la rue. D’une certaine manière, il permet au spectateur d’être la caméra, et utilise ensuite une caméra portable pour créer encore plus d’intimité avec les protagonistes, et par conséquent avec le public.Vous avez dû souvent improviser, en tant que caméraman ? Oui, il y a une certaine improvisation. C’est d’ailleurs à mon avis ce qui fait la force de ses films. Ses images ne sont pas super-stylisées, comme sur papier glacé, mais doivent être crédibles et amener le spectateur vers les protagonistes, vers l’histoire. Il n’y a pas de contradiction entre ce qu’on voit à l’écran et ce qu’on pense des protagonistes. Tout est lié. Je pense que les films d’Ulrich saisissent une certaine fragilité de l’expérience humaine, et que la caméra doit également la saisir.

Les images de Seidl sont souvent provocantes. Abordez-vous cet univers avec légèreté ou vous pose-t-il problème ?

Pas du tout. Je pense que les gens ont du mal à comprendre ces images comme des métaphores. C’est pourtant là que réside la force du cinéma : raconter une histoire avec des métaphores visuelles, représenter des idées avec des images, et dépasser ce que l’on voit.Quelle attitude avez-vous face à la curiosité de Seidl, qui n’hésite pas à mettre en lumière les secrets les plus intimes des protagonistes ? Je pense que Seidl dévoile des choses que l’on n’aimerait pas forcément voir. Des choses que l’on connaît peut-être de soi-même. Je pense que c’est ce qui rend sa narration si efficace. Je le considère comme un réalisateur qui s’intéresse beaucoup à la morale, sans pour autant être un moraliste. C’est un exercice très difficile, et je crois qu’aucun réalisateur n’est allé dans cette direction depuis Kieslowski. Seidl montre les choses avec son approche personnelle de la morale, sans sermonner le spectateur. Il fait confiance à l’intelligence du public en lui permettant de choisir comment interpréter ce qu’il voit.

Que pensez-vous du numéro d’équilibriste de Seidl entre documentaire et fiction ?

Bizarrement, tous les films sont pour moi des documentaires. Car même dans un film de fiction, lorsqu’on pose la caméra, qu’on utilise une lumière spéciale et que les acteurs disent des dialogues convenus à l‘avance, les choses ne sont jamais deux fois les mêmes.Seidl est connu pour être avare de mots lors d’un tournage. Vous n’avez pas de problème avec les réalisateurs «silencieux», ceux qui travaillent à l’intuition ? C’est une question d’intercompréhension. On peut discuter pendant des heures sans jamais se comprendre. La communication ne passe pas uniquement par les mots. Ce qui m’intéresse lorsque je travaille avec lui, c’est qu’il repousse les limites du cinéma. Traditionnellement, on considère le cinéma comme une illusion face à la réalité. mais quelle est la réalité de l’illusion? C’est ce genre de question qu’il pose. Ou la réalité serait-elle une illusion? Peut-être est-ce là ce qui l’intéresse vraiment: le caractère illusoire de la réalité.C’est un des paradoxes des films de Seidl. Mais tout cela semble bien théorique. Alors que ses films débordent d’énergie charnelle… C’est vrai, et je pense que c’est ce qui pose problème à nombre de gens. Ils ne savent pas vraiment quoi penser: sont-ils en face d’un document sur la réalité, ou confrontés à une fiction? À mon avis, les deux aspects sont nécessaires pour raconter une histoire. Et comme je l’ai déjà indiqué, Ulrich tend un miroir au spectateur. Son oeuvre y puise sa force et son unicité.

Import Export a été tourné dans des conditions difficiles : moins trente degrés en Ukraine, proximité avec des mourants en Autriche… S’agit-il là de conditions extrêmes ou normales pour vous ?

Chaque film est particulier et je dois toujours me battre, mais les conditions extérieures me font rarement peur. Je pense que les images intenses et extrêmes ne peuvent voir le jour que dans des conditions elles-mêmes intenses et extrêmes.Votre film s’intéresse aux flux migratoires entre l’Est et l’Ouest. Qu’est-ce qui a tout d’abord attiré votre attention : l’importation ou l’exportation de la force de travail ? L’exportation. C’est en travaillant à un autre film que j’ai eu l’idée de faire celui-ci. Lorsque je préparais Zur Lage, un documentaire en plusieurs parties, j’ai rencontré une famille de prolétaires dont tous les membres étaient au chômage. J’y ai vu le thème d’un film de fiction. En ce qui concerne l’importation, il y a des années que j’avais envie de réaliser un film en Europe de l’Est, parce que je me sens très proche des gens là-bas. C’est pourquoi j’ai commencé à écrire une histoire qui irait d’est en ouest, et une autre en sens contraire.

Les rôles principaux sont-ils tenus par des acteurs professionnels ou par des amateurs, comme c’était le cas dans Dog Days, votre film précédent ?

Les deux acteurs principaux n’avaient jamais joué devant une caméra auparavant. Paul Hofmann, l’Autrichien, a une vie très proche du rôle qu’il joue dans le film. Il est au chômage et traîne dans la vie en cherchant l’amour et la bagarre. Ekateryna rak était infirmière en Ukraine, et joue un rôle d’infirmière dans le film. Elle n’était jamais venue en Europe de l’Ouest, et ne compte d’ailleurs pas y rester.Les deux personnages principaux ne se rencontrent pas dans le film. Pourquoi ? Dans le scénario, il était prévu qu’ils se croisent à la frontière, sans se parler. Je crois que n’importe quel scénariste aurait prévu la scène… mais lors du tournage, je n’ai pas voulu montrer de frontière politique, puisque de toute manière elles sont entrain de disparaître. Il en va autrement des frontières sociales qui, elles, sont encore bien solides.Le casting a duré un an, le tournage deux hivers et le montage deux ans. Pourquoi l’élaboration de vos films est-elle toujours aussi longue ? Parce que je ne suis pas rapide ! [rire] Non, en fait c’est parce que mes scénarii ne sont que des guides de tournage. Je veux dire que lorsqu’un film démarre, je pars en voyage avec mon équipe: nous avons bien un but, mais ignorons encore le chemin qui y mène. C’est tout un processus, et souvent nous restons en panne car je ne sais vraiment plus comment faire pour avancer.

La mise en scène d’Import Export fait que cette fiction ressemble parfois étrangement à un documentaire…

Ce film est en réalité plus documentaire que Dog Days, puisqu’il a été en grande partie tourné dans des lieux publics – dans une véritable agence pour l’emploi, une véritable agence de sexe sur Internet, et deux véritables hôpitaux.À ce propos : les acteurs côtoyaient de véritables malades à l’hôpital. …tait-ce difficile de tourner avec des mourants ?Les seules difficultés sont venues de l’administration et du personnel. J’ai fait l’objet de pressions énormes visant à m’empêcher de tourner, principalement à cause de scandales récents dans des services de gériatrie en Autriche. Plusieurs mois avant le tournage, nous avons commencé à passer du temps avec les patients. Les acteurs, notamment Maria Hofstätter, ont travaillé deux fois par semaine à l’hôpital, en service de jour comme de nuit. Les patients qui étaient encore conscients nous ont accueillis avec plaisir, puisque le tournage rompait la monotonie de leur quotidien carcéral.Dog Days, votre premier film de fiction, a remporté le grand prix du jury au festival de Venise. Le succès a-t-il changé votre manière de travailler ? Je ne pense pas. Pour moi, le tournage d’un film est toujours épuisant. C’est même souvent un calvaire. Je ne cherche pas la facilité, ni pour moi ni pour mon équipe. Et chaque film est une aventure, un combat. Je n’ai pas la recette du succès. Il est toujours possible de se casser la figure.Ed Lachman, l’un des deux caméramans d’Import Export, vous a décrit comme un réalisateur qui s’intéresse à la morale, sans pour autant être un moraliste. Êtes-vous d’accord avec lui ?Mon propos n’est pas uniquement de divertir le spectateur, mais aussi de le toucher, voire de le déranger. Mes films ne critiquent pas des personnes, mais la société dans laquelle ils vivent. Et j’ai une conception claire de la dignité. Un film atteint son objectif lorsqu’il dépasse le divertissement et pousse le spectateur à découvrir quelque chose en rapport avec sa propre vie. Mon intention est de renvoyer au spectateur une image de lui-même.En tant que réalisateur, vous ne vous livrez pas à une critique sociale classique. Vous montrez les choses, sans porter de jugement de valeur. Je ne connais pas d’idéologie pour un monde meilleur, et je ne cherche jamais à juger les individus. J’essaye seulement de jeter un regard impartial sur la vie. Je crois que la réalité dépasse tout – toutes nos angoisses, toutes nos passions, l’angoisse de la mort comme la recherche passionnée de l’amour.On souligne souvent le pessimisme de vos oeuvres. Et pourtant, vous utilisez aussi l’humour…L’horreur, l’inévitable est souvent plus facile à supporter grâce à l’humour. De plus, je cherche toujours à jeter un pont entre tragédie et comédie. Je ne pense pas qu’un optimiste soit a priori plus constructif qu’un pessimiste, et qu’il doive par conséquent être considéré comme plus positif. Quand on regarde le monde sans complaisance, il est dur de ne pas être pessimiste. Mais comme tous les pessimistes, je suis aussi attiré par la beauté.Bien que choquant, Import Export pourrait être considéré comme le plus humaniste de vos films. Êtes-vous devenu plus doux, ou plus sage ? Plus sage, j’aimerais bien ; plus doux, sûrement pas. Tous mes films sont le fruit d’une conception humaniste du monde. Même ceux qui dérangent, qui provoquent ou qui choquent.

Rétrospective "Seidl / Regard de face"

Résolument provocateur et dérangeant, Ulrich Seidl signe, depuis le début des années 1990, des documentaires de cinéma qui montrent sa perception d’une humanité en plein déclin; Animal Love dépeint la dépendance des hommes envers leurs animaux de compagnie; Models suit l’itinéraire de jeunes mannequins prêtes à tout pour réussir. En 2002, son premier long-métrage de fiction, Dog Days obtient le Grand Prix du Jury au Festival de Venise. Bien qu’il soit difficile de définir les films d’Ulrich Seidl, certains parlent de ses oeuvres comme de la “réalité mise en scène”. A l’occasion de la sortie d’IMPORT EXPORT, Solaris Distribution présente, début février 2009, six des principaux films du réalisateur autrichien :

  • 2003 JESUS, YOU KNOW
  • 2001 DOG DAYS
  • 1998 MODELS
  • 1997 THE BOSOM FRIEND
  • 1995 ANIMAL LOVE
  • 1992 LOSSES TO BE EXPECTED