Mélodie pour un Tueur
Un film de James TOBACK
Sortie en salles : 6 juin 2012
Visa n°48976
Etats-Unis, 1978 - 90 min. / Couleur / 1.85 / Mono
Les droits d'exploitation de ce film sont échus
Jimmy, mélomane et pianiste amateur, se rêve virtuose. Il prépare une audition dont il espère beaucoup. Lorsque son père lui réclame son aide pour récupérer une forte somme auprès d’un caïd new-yorkais, Jimmy lui prête main-forte…
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James Toback - Cinéaste rare
Né à New York en 1944, James Toback décroche un diplôme de Harvard avant de dispenser un cours d’écriture au City College au début des années 70 et de contribuer à plusieurs magazines sportifs. Joueur compulsif, il évoque sa passion dans son scénario autobiographique du Flambeur (1974) de Karel Reisz, où James Caan campe un professeur de littérature qui dilapide tout son argent au jeu. Grâce au succès du film, il écrit et réalise Mélodie pour un tueur quatre ans plus tard, polar urbain influencé par les premiers films de Martin Scorsese, où Harvey Keitel trouve l’un de ses plus beaux rôles. Mais ce premier long métrage qui divise la critique américaine est aussi interprété par Jim Brown, ancien champion de football et star de la Blaxploitation. Comme le cinéaste le reconnaître bien plus tard, le choix de l’acteur noir s’inscrit dans une démarche politique : il voyait en effet dans la culture afro-américaine un symbole de liberté et “l’antidote à la médiocrité de la classe moyenne blanche”.
S’il a réalisé peu de films mémorables par la suite, comme Surexposé (1983) ou The Pick-Up Artist (1987), il signe néanmoins Black and White (1999) qui évoque avec subtilité les rapports conflictuels entre les communautés noire et blanche aux …tats-Unis. Scénariste de Bugsy (1992) de Barry Levinson et de Beyond the Sea (2004) de Kevin Spacey, il fait aussi l’acteur chez Woody Allen, dans Alice (1990). Il renoue avec sa fascination pour le sport dans le très beau documentaire qu’il consacre à Mike Tyson, intitulé simplement Tyson (2009).
Harvey Keitel - Antihéros à la trogne patibulaire
Avec son accent typique de Brooklyn et son air de bulldog, Keitel s’est d’abord imposé comme un formidable truand aux petits pieds dans les films de Martin Scorsese. Une sorte de James Cagney des temps modernes.
Né en 1939 à New York, il sert dans les Marines avant de suivre les cours d’art dramatique de Lee Strasberg et Stella Adler et de se produire sur scène. Grâce à une petite annonce, il a la chance de rencontrer Scorsese qui le dirige dans Who’s That Knocking at My Door? (1969). Cinq ans plus tard, ils se retrouvent sur Mean Streets, puis refont équipe avec Alice n’habite plus ici (1974) et Taxi Driver (1976). En 1978, il campe l’un de ses personnages les plus poignants et les plus tourmentés, Jimmy, dans Mélodie pour un tueur de James Toback.
Mais sa carrière subit un coup d’arrêt lorsqu’il n’est pas retenu pour Apocalypse Now de Francis Ford Coppola. Contraint de tourner dans des films mineurs tout au long des années 80, il connaît un retour inespéré au début de la décennie suivante : policier sympathique dans Thelma et Louise (1991) de Ridley Scott, il incarne surtout un flic déjanté dans le superbe polar métaphysique Bad Lieutenant (1992) d’Abel Ferrara. Sensible à l’univers de Quentin Tarantino, alors débutant, il accepte de jouer dans Reservoir Dogs (1992). Un an plus tard, il prouve qu’il peut changer de registre en campant un homme vulnérable et romantique dans La Leçon de piano de Jane Campion, Palme d’Or à Cannes.
Mais il revient à ce qu’il affectionne le plus : des rôles de gangsters endurcis et d’hommes que la vie n’a pas ménagés. Il est ainsi à l’affiche de Pulp Fiction (1994) de Quentin Tarantino, Palme d’Or à Cannes, Clockers (1995) de Spike Lee et Copland (1997) de James Mangold. Il n’est pas absent des blockbusters hollywoodiens, puisqu’il enchaîne U-571 (2000), Dragon rouge (2002), et Benjamin Gates et le trésor des Templiers (2004). Il ne néglige pour autant pas le cinéma d’auteur, y compris européen, puisqu’il a donné la réplique à Emmanuelle Béart dans Un crime (2006) de Manuel Pradal. Sans conteste, Harvey Keitel est l’une des dernières “gueules” du cinéma américain.
Jim Brown - Icône de la Blaxploitation
Originaire de Géorgie, Jim Brown grandit dans un ghetto noir de Long Island, près de New York. Mais il se distingue rapidement grâce à ses qualités sportives et intègre Syracuse University. Dès 1957, il signe un contrat avec l’équipe de football des Cleveland Browns, où il jouera comme “arrière” pendant dix ans. En 1958, il est “débutant” de l’année et, deux ans plus tard, il est consacré “joueur de l’année”. Alors qu’il est encore à Cleveland, il fait ses débuts au cinéma dans le western Rio Conchos (1963) de Gordon Douglas : sa prestation lui vaut quatre pages dans le magazine Life. Après avoir mis un terme à sa carrière de footballeur professionnel en 1967, il partage l’affiche des Douze Salopards (1968) de Robert Aldrich : la scène où il pulvérise plusieurs officiers nazis avec une grenade l’installe dans toutes les mémoires.
Il obtient alors des rôles majeurs, dans Destination Zebra, station polaire (1968) de John Sturges et Les cent fusils (1969) de Tom Gries, où il déclenche la polémique suite à une scène des plus sensuelles avec la sulfureuse Raquel Welch. On le retrouve ensuite dans plusieurs films de la Blaxploitation, comme Gunn la gâchette (1972) ou L’Exécuteur noir (1973) de Gordon Douglas, sans oublier Mélodie pour un tueur (1978) de James Toback.
Dès la fin des années 70, il réduit ses apparitions à l’écran pour se consacrer à des activités philanthropiques et engagées, fondant notamment la Black Economic Union. Après plusieurs années d’absence, il refait équipe avec Fred Williamson, Pam Grier, et Richard Roundtree, ses anciens partenaires de la Blaxploitation, pour un délicieux film-hommage, Original Gangstas (1996).
Mélodie pour un tueur - La musique comme seul rempart
Comme beaucoup d’antihéros faisant irruption dans le cinéma des années 70, qu’on a surnommé le “nouvel Hollywood”, Jimmy est un personnage profondément déchiré et autodestructeur. Petite frappe à la solde d’un père criminel, le personnage campé — habité, devrait-on dire — par Harvey Keitel n’en est pas moins hanté par son désir de se consacrer corps et âme à sa passion : le piano. Du coup, tout en brutalisant les “mauvais payeurs” de l’entreprise paternelle, il s’entraîne pour une audition à Carnegie Hall. Rarement un conflit intérieur aura été dépeint avec autant d’acuité et de force brute mêlées. Totalement instable, Jimmy, cousin du Travis Bickle de Taxi Driver, est un être capable d’exploser à chaque instant. En témoigne la scène du restaurant où, indigné par un client qui lui a demandé de baisser le son de sa radio, il est prêt à lui sauter à la gorge, expliquant à l’ignare qu’il s’agit d’un des morceaux de rock les plus révolutionnaires au monde ! Sombrant peu à peu dans une sorte de folie, Jimmy se retranche progressivement dans son monde, où la musique lui sert de barrière protectrice entre lui et les autres.
Mais Mélodie pour un tueur est aussi le portrait d’un homme dont la virilité est mise à mal et, à travers lui, d’un pays dont la toute-puissance tremble sur ses bases. Il faut voir comment Jimmy, incarnation de l’anti-séducteur, se heurte aux femmes qui l’attirent. Faut-il s’étonner que lorsqu’il poursuit Carol de ses assiduités, la situation tourne à la catastrophe ? Se sentant constamment menacé — par son père, par ses ambitions contrariées, par les femmes, par le monde environnant —, Jimmy est un “misfit” — comme les affectionnait John Huston — dont l’impuissance existentielle et sexuelle est violemment révélée par le personnage de Jim Brown. Comme Who’s That Knocking at My Door et Mean Streets, Mélodie pour un tueur est tourné dans les rues de New York, débarrassant la ville mythique de tout romantisme et privilégiant au contraire une vision désenchantée de la métropole qui a tant inspiré le cinéma. À l’instar de l’Amérique en crise morale de la fin des années 70, il fait tout le temps gris dans Mélodie pour un tueur, comme si le soleil était définitivement mort. Ce formidable premier long métrage d’un cinéaste injustement méconnu a inspiré De battre mon cur s’est arrêté de Jacques Audiard, tourné vingt-cinq ans plus tard.