PYGMALION

Un film de Anthony Asquith et Leslie Howard

d'après la pièce de George Bernard Shaw

Sortie en salles : 15 décembre 2021
1938 | Royaume-Uni | Comédie dramatique | 96 minutes | 1/33
NB | VOSTF | Visa n°3717

Le professeur Henry Higgins, expert en phonétique, fait la connaissance de la jeune Eliza Doolittle au langage populaire. Avec son ami, le colonel Pickering, il fait le pari de la faire passer pour une duchesse…

PYGMALION - Affiche

— Galerie

A PROPOS DU FILM:

Texte de Franck GARBARZ

Pygmalion

Le savant fou et sa créature

En Angleterre, plus que dans tout autre pays, l’accent est un marqueur social qui vous stigmatise. Mieux encore, pour l’auditeur averti, il incarne une forme de carte d’identité qui renseigne non seulement sur la catégorie socio-culturelle du locuteur, mais sur la zone géographique dont il est originaire. S’emparant avec gourmandise de ce constat dont il a poussé le mécanisme à l’extrême, le dramaturge George Bernard Shaw signe Pygmalion en 1912 où transparaissent son aversion pour le puritanisme des classes dominantes et son féminisme avant-gardiste. Conscient que le cinéma pouvait lui offrir une caisse de résonance d’une bien plus grande ampleur que le théâtre, il adapte lui-même la pièce pour le grand écran. Résultat : un petit bijou d’intelligence d’une étincelante modernité qui lui vaudra l’Oscar du meilleur scénario. 

Conte moral et philosophique d’une étonnante férocité, Pygmalion est, au fond, une variation sociale autour du mythe de Frankenstein. Car le professeur Higgins, qui se considère au-dessus de ses semblables, n’est-il pas une sorte de savant fou, déterminé à faire d’une pauvre vendeuse de fleurs payée cinq Livres à son père une princesse en moins de trois mois ? Ne qualifie-t-il pas la jeune femme de « créature » en lui refusant toute humanité ? Toute la séquence de l’apprentissage d’Eliza, construite comme un enchaînement d’exercices au crescendo de plus en plus frénétique, renvoie d’ailleurs à l’expérience du docteur Frankenstein : des décadrages au rythme staccato de la musique, jusqu’aux gros plans presque effrayants sur le visage de Leslie Howard, la mise en scène vertigineuse d’Anthony Asquith oscille entre la comédie grinçante et la scène de torture ! 

L’expérience d’Higgins dépasse ses espérances les plus folles lorsque Eliza, qui concentre tous les regards lors d’une soirée digne d’un conte de fée, est prise pour une princesse hongroise par un expert linguistique… formé par Higgins lui-même ! L’ironie de Bernard Shaw est à son comble : il suffirait donc de faire le singe savant pour passer du caniveau aux palais, quitte à tromper les oreilles les plus aguerries ? Sauf qu’Higgins, tout à son orgueil démesuré, a oublié que sa créature était humaine. Bien plus intelligente qu’il ne le soupçonnait, Eliza se rebelle contre son « créateur » et disparaît, renversant soudain le rapport de force en sa faveur. À cet égard, le moment où Howard, drapé dans sa supériorité, trébuche légèrement dans l’escalier signale au spectateur qu’il est faillible. À la fois abject, méprisant et misanthrope, Leslie Howard campe avec superbe le linguiste dévoré par l’hubris. À ses côtés, Wendy Hiller est aussi irrésistible dans le registre comique (la scène du bain est un régal !) que bouleversante lorsqu’elle est blessée. Nerveuse, efficace, rythmée, la réalisation sert formidablement le propos de ce film qu’il est indispensable de redécouvrir, aujourd’hui plus que jamais. 

Leslie Howard

Acteur, réalisateur et producteur, Leslie Howard restera à tout jamais l’Ashley Wilkes d’Autant en emporte le vent dans l’inconscient collectif. Britannique jusqu’au bout des ongles, il a campé à merveille les gentlemen élégants et sophistiqués. 

Fils d’un courtier londonien, il travaille d’abord comme employé de banque pour satisfaire la volonté de son père. Après avoir servi sous les drapeaux pendant la Première Guerre mondiale, il décide de se consacrer au métier d’acteur qui le passionne. Il fait ses débuts sur scène où ses personnages d’intellectuel désabusé lui valent un certain succès. Très vite, il est sollicité à Hollywood et se produit ainsi dans The Scarlet Pimpernel (1934), L’Emprise (1934), aux côtés de Bette Davis, ou encore La forêt pétrifiée (1936) avec Humphrey Bogart et Intermezzo (1938) avec Ingrid Begman. Mais c’est bien entendu son interprétation de l’aristocrate sudiste Ashley Wilkes dans Autant en emporte le vent (1939) de Victor Fleming qui lui permet de s’imposer en héros romantique. 

Intéressé par la mise en scène, il coréalise Pygmalion (1938) avec Anthony Asquith et M. Smith agent secret (1941), film de propagande antinazi. D’un fervent patriotisme, il s’engage auprès des forces alliées pendant la guerre. Il trouve d’ailleurs la mort à bord d’un avion militaire transportant de hauts dignitaires de Londres à Lisbonne, abattu par les Allemands en 1943. Ce n’est qu’après la guerre qu’on apprendra que Howard, conscient des risques, avait délibérément participé à ce vol à bord duquel Winston Churchill était censé se trouver. En réalité, il s’agissait d’un leurre destiné à ce que l’avion transportant réellement le Premier ministre puisse effectuer son trajet sans être inquiété. Un sacrifice héroïque à l’image de l’acteur. 

Anthony Asquith

Tout comme Alfred Hitchcock, David Lean et Carol Reed, Anthony Asquith est considéré comme l’un des cinéastes britanniques les plus prestigieux de sa génération, même s’il s’est le plus souvent contenté de transposer des pièces de théâtre pour le grand écran. 

Né en 1902, ce fils de Premier ministre contribue à développer l’industrie cinématographique anglaise en cofondant la London Film Society avec un certain George Bernard Shaw. Il souhaite en effet que les films britanniques s’inspirent d’Allemagne, de Suède et des États-Unis pour se montrer plus audacieux. Il se rend également à Hollywood où il fait la connaissance de Mary Pickford et de Douglas Fairbanks et fréquente plusieurs réalisateurs. De retour au Royaume-Uni, il tourne son premier long métrage, Shooting Stars (1927), puis enchaîne avec A Cottage on Dartmoor (1929), considérés comme deux films majeurs de l’époque du muet. 

En 1931, il passe au parlant avec Tell England, autour de la Bataille de Gallipoli, pendant la Première Guerre mondiale, qui rencontre un immense succès. En 1938, il signe Pygmalion, d’après Shaw, qui triomphe en Angleterre et dans le reste du monde. Il faut dire qu’il aura réussi à convaincre le dramaturge de réécrire la fin pour lui donner une tournure plus « romantique ». Un an plus tard, il connaît de nouveau le succès avec L’écurie Watson. 

Lorsque la guerre éclate, il use de son réseau politique pour que les salles de cinéma restent ouvertes et que les tournages puissent se poursuivre, contrairement à la décision initiale du gouvernement. En 1945, il tourne The Way to the Stars, l’un de ses meilleurs films. Il enchaîne avec d’autres réussites majeures comme The Winslow Boy (1948) et L’ombre d’un homme (1951). Malgré sa santé défaillante, il est l’un des très rares réalisateurs de sa génération à collaborer à d’ambitieux projets. Il disparaît en 1968. 

Wendy Hiller

Née en 1912, Wendy Hiller fait ses débuts sur scène à l’âge de 18 ans : c’est avec la pièce Love on the Dole, écrite par son futur mari Ronald Gow, en 1935 qu’elle s’impose auprès du public. Mais c’est surtout parce qu’elle se produit dans Sainte Jeanne de George Bernard Shaw que celui-ci la recommande pour incarner Eliza Doolittle dans l’adaptation cinématographique de Pygmalion. 

Son interprétation de la jeune fille qui se métamorphose en « aristocrate » anglaise sous la tutelle du professeur Higgins lui vaut une nomination aux Oscars. Une distinction d’autant plus méritée qu’elle a dû tourner deux versions de Pygmalion, dont une, édulcorée, pour le public américain. La comédienne joue dans une autre transposition d’une pièce de Shaw pour le grand écran avec Major Barbara (1941). 

Si Wendy Hiller, de son propre aveu, a toujours préféré la scène, elle n’a pas pour autant totalement négligé le cinéma lorsqu’elle considérait que les rôles en valaient la peine. Elle remporte un Oscar du meilleur second rôle pour Tables séparées de Delbert Mann et obtient une nouvelle nomination pour Un homme pour l’éternité (1966) de Fred Zinnemann. En 1966, elle reçoit l’insigne honneur de l’Order of the British Empire, avant d’être faite Dame of the Empire en 1975, tout en continuant à mener sa carrière brillamment. Elle multiplie les apparences à la télévision dans les années 70 et 80, puis disparaît en 2003.