Qui a peur de Virginia Woolf ?

Un film de MIKE NICHOLS

Sortie en salles : 6 février 2013
Visa n°32111
États-Unis, 1966, 2h11, Noir & Blanc, 1.85
Les droits d'exploitation de ce film sont échus

Martha et George invitent deux amis, Nick et Honey, pour la soirée. A peine sont-ils arrivés que Martha et George, passablement ivres, commencent à se disputer. Nick et Honey assistent à cette scène de ménage et au bout d’un moment finissent par se disputer eux aussi.

Qui a peur de Virginia Woolf ? - Affiche

Qui a peur de Virginia Woolf ? - Les noces de vitriol

Bienvenue dans l’arène sanglante où, deux heures durant, les gladiateurs de la vie conjugale vont s’affronter dans une lutte à mort, à la fois terrifiante et fascinante. Pour son premier long métrage, Mike Nichols porte à l’écran la pièce sulfureuse d’Edward Albee, adaptée pour l’occasion par Ernest Lehman, scénariste de La Mort aux trousses. Et pour un coup d’essai, c’est un coup de maître : tout en évitant magistralement l’écueil du théâtre filmé, il circonscrit ses personnages à l’espace clos de la maison et suscite ainsi une atmosphère lourde et suffocante à la limite du supportable. Si le metteur en scène ménage quelques rares échappées — le jardin ou un bar voisin —, ce n’est pas tant pour apaiser notre sentiment de claustrophobie que pour permettre aux protagonistes, épuisés par le combat, de retrouver un regain d’énergie et mieux déverser ensuite leur fureur renouvelée. Le noir et blanc stylisé du chef-opérateur Haskell Wexler — qui a signé la photo d’America, America d’Elia Kazan et de L’Affaire Thomas Crown de Norman Jewison — donne une sécheresse supplémentaire aux images et distingue le film des productions hollywoodiennes traditionnelles.

Tourné à une époque où il n’était pas encore franchement admis d’aborder l’enfer du couple, Qui a peur de Virginia Woolf ? bouscule les tabous et défie le code de censure en vigueur. Il faut dire que Mike Nichols fustige la veulerie de l’AmericanWay of Life et de la bourgeoisie moyenne et dissèque, à la manière d’un entomologiste, les névroses sexuelles, les frustrations mal digérées, le conformisme social et la violence des rapports entre les générations. Comme chez Bergman, les conjoints tombent le masque et s’engagent dans des rapports sadomasochistes dont la cruauté extrême nous oppresse. C’est d’autant plus poignant qu’on ne peut s’empêcher de penser à la proximité entre les coups que s’infligent Elizabeth Taylor et Richard Burton et leurs déchirements dans la vie. En furie incontrôlable dont la souffrance égale la virulence, la comédienne empoigne son personnage comme si elle en faisait une question de vie ou de mort, n’hésitant pas à prendre 20 kilos pour le rôle. Tour à tour abjecte et pathétique, elle livre une prestation exceptionnelle, dignement récompensée par un Oscar. À ses côtés, Burton, tout en retenue glaçante, ouvre des abîmes de noirceur qui tétanisent le spectateur. Près de quarante ans plus tard, Mike Nichols réalisera Closer, entre adultes consentants (2004), autre portrait croisé de couples à la dérive.

Elizabeth Taylor - La dernière star

Incarnation absolue de la star, Elizabeth Taylor possédait le charisme et la beauté des divas hollywoodiennes. Défrayant souvent la chronique pour ses nombreux mariages, ses scandales sur les tournages et ses problèmes de poids, elle a su, peut-être mieux que les autres, se jouer des médias, comme eux se sont joués d’elle.

Née à Londres, elle débute à Hollywood dès l’âge de 10 ans, puis se fait connaître grâce aux Quatre filles du Docteur March (1949) de Mervyn LeRoy et, surtout,  au Père de la mariée (1950) de Vincente Minnelli, où elle campe la fille de Spencer Tracy. Mais c’est avec Une place au soleil (1951) et Géant (1956) de George Stevens qu’elle témoigne de son talent de comédienne. Elle enchaîne avec deux somptueuses adaptations de Tennessee Williams : La Chatte sur un toit brûlant (1958) de Richard Brooks, où elle campe une épouse délaissée par un mari aux tendances homosexuelles, et Soudain l’été dernier (1959) de Joseph L. Mankiewicz, où elle incarne une jeune femme fragile et manipulée par Katherine Hepburn. À chaque fois, sa sensibilité à fleur de peau et son jeu tout en nuances font mouche.

En 1963, elle interprète Cléopâtre, sous la direction de Mankiewicz : gouffre financier, cette superproduction permet à la comédienne de rencontrer Richard Burton avec qui elle entame une idylle. Elle partage l’affiche avec celui qui deviendra son mari dans Qui a peur de Virginia Woolf ? (1966) de Mike Nichols et La Mégère apprivoisée (1967) de Franco Zeffirelli, où le couple triomphe dans des affrontements mémorables. Vers la fin des années 60, Elizabeth Taylor trouve les derniers grands rôles à sa mesure. De Reflets dans un œil d’or (1967) de John Huston, où elle partage l’affiche avec Marlon Brando, à Cérémonie secrète (1968) et Boom ! (1968) de Joseph Losey, elle déploie son immense talent avec une énergie hallucinante. Multipliant par la suite les apparitions à la télévision, elle s’engage activement dans la lutte contre le Sida dans les années 80 et 90. Toujours aussi militante dans l’âme, elle refuse d’assister à la cérémonie des Oscars en 2003 pour protester contre la guerre en Irak. Elle disparaît en 2011 à l’âge de 79 ans.

Richard Burton - La fureur de vivre

Originaire d’une famille modeste du Pays de Galles, Richard Burton se révèle très tôt passionné par la poésie et l’écriture et, surtout, par le théâtre. Contraint d’interrompre ses études pour travailler et subvenir aux besoins de sa famille, il se produit au théâtre dès les années 40 et 50. Après quelques rôles mineurs au cinéma, il se fait remarquer dans Ma cousine Rachel (1952) d’Henry Koster : son charisme et le timbre particulier de sa voix séduisent le public. À la fin des années 50, il campe un ouvrier piégé par le système et ses démons intérieurs dans le formidable Les Corps sauvages (1959) de Tony Richardson. Quatre ans plus tard, il remplace Stephen Boyd dans Cléopâtre (1963) de Joseph L. Mankiewicz, où il rencontre Elizabeth Taylor avec laquelle il entretient une liaison orageuse.

Adepte des personnages ambigus et névrosés, il incarne un prêtre défroqué dans La nuit de l’iguane (1964) de John Huston ou un universitaire alcoolique et malmené par sa femme dans Qui a peur de Virginia Wolf ? (1966) de Mike Nichols. Privilégiant les grands cinéastes, il est successivement dirigé par Joseph Losey, dans Boom ! (1968) et L’assassinat de Trotsky (1972), Stanley Donen, avec L’Escalier (1969), et Sidney Lumet, avec Equus (1977).

Alcoolique notoire, il fait preuve de moins de discernement dans le choix de ses rôles à partir de la fin des années 70. Hospitalisé en 1975, il en réchappe miraculeusement : il buvait alors trois bouteilles de vodka par jour ! Pour son dernier rôle, il tourne dans la formidable adaptation de George Orwell, 1984 (1984), signée Michael Radford, avant de disparaître la même année, victime d’une hémorragie cérébrale, à l’âge de 58 ans.

Mike Nichols - L'observateur sans concession de l'Amérique

Fustigeant les tares de la société américaine avec un humour souvent déconcertant, Mike Nichols a souvent su signer des œuvres personnelles et populaires à la fois.

Né à Berlin dans une famille d’origine russe, il veut d’abord devenir comédien, avant de mettre en scène des pièces de théâtre, comme Pieds nus dans le parc de Neil Simon, à partir de 1963. En 1966, il passe au cinéma avec Qui a peur de Virginia Woolf ?, où il dirige Elizabeth Taylor et Richard Burton, dans un psychodrame terrible qui transgresse les interdits de l’époque : le film remporte 5 Oscars sur 13 nominations. Un an plus tard, il signe Le Lauréat, où il révèle Dustin Hoffman dans une chronique douce-amère sur la jeunesse des années 60 en plein désarroi. Nichols décroche alors l’Oscar du meilleur réalisateur.

Il tourne Catch 22 (1970) et Ce plaisir qu’on dit charnel (1971) qui, là encore, bouscule le puritanisme ambiant. Après quelques films mineurs et huit ans loin des écrans, il fait un retour en force avec Le Mystère Silkwood (1983), pamphlet anti-nucléaire qui offre à Meryl Streep un de ses plus beaux rôles. Il enchaîne avec La Brûlure (1986), où Jack Nicholson donne la réplique à Meryl Streep, et Working Girl (1988), comédie sociale avec Melanie Griffith et Harrison Ford. Alors qu’il semblait démodé, il retrouve les faveurs de la critique et du public. Il signe un drame poignant, À propos d’Henry (1991), avec Harrison Ford, puis le film fantastique Wolf (1994), avec Jack Nicholson. Mais c’est surtout sa satire politique autour de la campagne présidentielle de Clinton, Primary Colors (1998), avec John Travolta, qui défraie la chronique, d’autant que le film sort en pleine affaire Monica Lewinsky… En 2004, il tourne Closer, entre adultes consentants, nouvelle chronique désenchantée autour de la vie conjugale qui fait étrangement écho à Qui a peur de Virginia Woolf ? En s’associant au scénariste Aaron Sorkin, à qui l’on doit la série À la Maison Blanche et le film TheSocial Network, Nichols signe l’une de ses œuvres les plus inspirées : La Guerre selon Charlie Wilson (2007), réjouissante comédie grinçante sur la vie politique américaine, dans la grande tradition de Frank Capra.