Sans doute l'un des plus grands Péplum de l'histoire du cinéma

LA CHUTE DE L’EMPIRE ROMAIN

Un film de Anthony Mann

Prochainement
1964 | États Unis | Péplum/drame | 188 | Scope 70mm | mono et 6 pistes
Technicolor | Titre original : The Fall of the Roman Empire

L’empereur romain Marc Aurèle sent la mort approcher et désigne Livius pour lui succéder. Mais son fils Commode refuse de s’effacer : il fait assassiner son père et s’empare du trône. Livius va tenter de s’opposer à lui. C’est le début d’une époque troublée pour Rome, qui va entamer son déclin.

LA CHUTE DE L’EMPIRE ROMAIN - Affiche

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Sur le film par Oliver Père

Si Quo Vadis a relancé la mode du péplum à Hollywood au début des années 50, La Chute de l’empire romain de Anthony Mann va en sonner le glas lors de la décennie suivante. Cette superproduction de Samuel Bronston figure dans la liste des films les moins rentables de toute l’histoire du cinéma, avec seulement 1,9 million de dollars de recette en Amérique du Nord pour un budget de plus de 20 millions de dollars. Cet échec entraînera la faillite de Bronston, producteur indépendant qui s’était spécialisé dans les films historiques à grand spectacle tournés en Espagne. Cette déconvenue commerciale, qui confirme l’essoufflement du péplum auprès des spectateurs américain, peut s’expliquer par l’absence d’une grande vedette masculine au générique. Charlton Heston et Richard Harris initialement prévus dans les rôles de Livius et Commode se désistèrent et furent remplacés par Stephen Boyd et Christopher Plummer. Sophia Loren retrouve son réalisateur et son producteur du Cid et se montre excellente tragédienne dans le rôle de Lucilla, la fille de l’empereur Marc-Aurèle, mais sa seule présence ne parvint pas à attirer en masse le public. La Chute de l’empire romain mérite pourtant d’être réhabilité et compte parmi les plus beaux films historiques hollywoodiens. Anthony Mann est un grand cinéaste qui signa plusieurs classiques du western et sa mise en scène embrasse les décors naturels avec majesté. Cependant, c’est dans les scènes intimes et les affrontements verbaux que le film atteint des sommets. Les auteurs – les scénaristes Ben Barzman, Basilio Franchina et Philip Yordan – ont opté pour une approche adulte et sérieuse de leur sujet, et pris la décision de privilégier la réflexion à l’action. Le film s’interroge sur les origines et les raisons profondes de l’effondrement de l’Empire romain, à son apogée au début du récit. Il s’appuie sur des faits historiques mais s’oriente vers la tragédie shakespearienne, en contant une histoire de rivalité, de jalousie et de folie au sein de la famille impériale, où la quête effrénée du pouvoir conduit à la trahison, au meurtre et à la guerre. Ainsi La Chute de l’empire romain, avec ses personnages névrosés – Commode, homosexuel parricide, inapte au trône d’empereur et fasciné par la violence des combats de gladiateurs – ou déchirés par des dilemmes moraux, partagés entre l’amour et le devoir, rejoint l’approche intimiste et psychologique de l’autre grand péplum de 1963, Cléopâtre de Joseph L. Mankiewicz, chef-d’œuvre de démesure et d’intelligence. Il accorde plus d’importance aux dialogues – ce qui permet de savourer les interprétations des superbes comédiens britanniques Alec Guinness et James Mason – qu’aux scènes spectaculaires, malgré le gigantisme des décors et de la figuration. Un hommage paradoxal fut rendu à La Chute de l’empire romain en 2000. Le triomphal Gladiator de Ridley Scott qui allait relancer la mode du péplum à Hollywood raconte la même histoire que le film de Mann, sans que cette source d’inspiration ne soit à aucun moment mentionnée, ni au générique ni lors de sa promotion.

Analyse de film par Geoffroy Blondeau (Iletaitunefoislecinema.com)

Article écrit par

Film de commande d’un cinéma hollywoodien en pleine crise (concurrence de la télévision), La Chute de l’empire romain (The Fall of the Roman empire) n’est pas cette démesure artistique du dispendieux producteur Samuel Bronston, mais une œuvre complexe, magistralement réalisée et dotée d’une réelle réflexion sur l’ordre et la nature, le pouvoir et la corruption, […]

Film de commande d’un cinéma hollywoodien en pleine crise (concurrence de la télévision), La Chute de l’empire romain (The Fall of the Roman empire) n’est pas cette démesure artistique du dispendieux producteur Samuel Bronston, mais une œuvre complexe, magistralement réalisée et dotée d’une réelle réflexion sur l’ordre et la nature, le pouvoir et la corruption, la civilisation et la barbarie. Préoccupé à montrer « la folie du monde, le déclin et la mort de l’esprit », Anthony Mann ne réalise pas un film historique sur le déclin d’une civilisation, mais une tragédie d’inspiration shakespearienne qui le conduira à un traitement discursif de l’âme humaine.

En s’affranchissant avec maestria des lourdeurs d’une telle superproduction, Anthony Mann nous livre un péplum terrifiant, pessimiste et crépusculaire. Remarquable parallèle pour un film de 1964, La Chute de l’empire romain cultive avec intelligence et force du propos une double nostalgie en associant déclin d’un empire et disparition d’un âge d’or du cinéma. Film « d’auteur », La Chute de l’empire romain devient le témoin en cinémascope d’un monde en mutation qui verra s’imposer la culture du compromis. Renaissance d’un genre codifié, ce film ose s’aventurer vers les errements d’une nature humaine complexe, en abolissant les caricatures tranchées et définitives. Si il y a bien ça et là quelques postures grossières, Anthony Mann se refuse à toute tentation simplificatrice et insuffle à ses personnages un caractère souvent équivoque.

La scène où Marc Aurèle se parle à lui-même par le biais d’un dialogue intérieur montre la dualité d’un être doté d’une grande richesse. Marc Aurèle doute de son action et devient son propre esclave (tout comme Rome !!). Il est à la fois homme de guerre et homme d’esprit. Si l’homme de guerre triomphe sur les champs de bataille, l’homme de lettres n’arrive pas à déplacer les lignes de fracture sur celle de la pensée. La confrontation de soi, par les autres, dans un monde structuré par la puissance et la domination, reste l’élément singulier de la démarche du réalisateur. Si les trois personnages masculins semblent être résignés (Marc Aurèle, Commode, Livius), seule Lucilla reste fidèle à Rome. En n’acceptant pas l’accession au trône de son frère Commode, elle devient la figure romaine d’Antigone. Elle refuse la fatalité, croit au sursaut de l’empire et illustre par ses relations avec son père, Livius et Commode la dimension tragique de la chute de l’empire.

A ce titre, l’importance de la mise en scène est à noter. Usant, dans un sens du cadre remarquablement rythmé, l’horizontalité (panoramique et travelling montrant la puissance guerrière d’un empire conquérant et assimilateur) et la verticalité (élévation de la caméra suggérant la force de la pensée, mais aussi du pouvoir et de la domination des constructions humaines sur la nature), Anthony Mann structure son film autant par les plans que par les dialogues. De ce fait, il accorde son discours sur l’absurdité d’une soumission des peuples par la force (scènes du Sénat, Timonides face aux barbares, comportement d’un Commode mégalomane…) à une mise en scène qui nous guide vers la tolérance.

Réalisateur maîtrisant l’art du cinémascope par un sens du cadre axé vers l’ouverture (les grands espaces ; la profondeur des relations), il rend tragique un long métrage qui devient une œuvre philosophique sur l’état d’un monde n’arrivant plus à se comprendre lui-même. Jouant sur trois thèmes (civilisation – barbarie, frères ennemis, nature – ordre), il développe non pas les raisons historiques de la chute de l’empire, mais les dualités de toute société dans sa marche en avant.

En effet, le sénat romain n’est-il pas, dans une certaine mesure, aussi décadent que les barbares eux-mêmes ? L’empereur Commode et le général Livius ne sont ils pas les deux pôles opposés d’un seul et même personnage ? A vouloir dominer la nature en imposant une seule vision du monde, ne risque t-on pas d’appauvrir ce qui fait l’essence même de l’humanité ?

Toutes ces questions sont le fruit d’un homme pragmatique portant un regard lucide et réaliste. Comment ne pas penser à la critique que porte Anthony Mann sur l’impérialisme américain dans le monde. Parallèle fascinant entre l’idée d’une Rome universelle déclinant sa définition de la civilisation et d’une Amérique jouant à l’apprenti sorcier de la démocratie, Mann rend plus que discutable (alors que nous sommes en 1964 !!) l’action militaire comme soutien logistique de démocratisation des peuples.

Fidèle à son parcours cinématographique à la fois simple et direct, Anthony Mann aborde les thèmes qui ont fait le succès de ses westerns (personnages complexes, idée de tolérance, action de l’homme face à la nature…). Artiste classique qui s’intéressera aux genres et à leurs potentialités, Mann reste un faiseur doué (la course de chars et les scènes de bataille sont irréprochables) et un humaniste sincère qui aura su nous éclairer sur la nature humaine.