Portier de Nuit

Un film de Liliana Cavani

Sortie en salles : 2 octobre 2012
Visa n°42613
Italie, 1974, 118 min. / Couleurs / 1.85 / Mono
Les droits d'exploitation de ce film sont échus

Maximilian est portier de nuit dans un hôtel hébergeant des anciens nazis. Lucia accompagnant son mari, chef d’orchestre, loge dans cet hôtel. Maximilian reconnaît en elle une ancienne déportée qui était sa maîtresse. Lucia se trouve attirée par son ancien bourreau et redevient la maîtresse de Maximilian. Mais ils sont traqués par d’anciens nazis qui tentent de faire oublier leur passé.

Portier de Nuit - Affiche

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Liliana Cavani - Sulfureuse

Après des études de lettres et de linguistique, Liliana Cavani se passionne pour la période de la Seconde guerre mondiale à laquelle elle consacre plusieurs documentaires dans les années 60. En 1966, elle signe son premier long métrage, François d’Assise, puis réalise Les Cannibales (1970), autour du totalitarisme. Elle poursuit son exploration des rapports de domination sadomasochistes dans son film le plus célèbre, Portier de nuit (1974), où Dirk Bogarde fascine Charlotte Rampling. Habituée aux polémiques, sa biographie de Nietzsche, Au-delà du bien et du mal (1977), suscite, elle aussi, le débat.

En 1980, elle réalise La Peau, d’après Malaparte, avec Marcello Mastroianni. Cinq ans plus tard, elle évoque une histoire d’amour entre deux femmes dans le Berlin de 1938 avec Berlin Affair (1985). Après Francesco (1989), où Mickey Rourke campe François d’Assise — sujet déjà évoqué dans son premier film —, Liliana Cavani réalise Sans pouvoir le dire (1993) et Ripley’s Game (2001), avec John Malkovich. Elle délaisse par la suite le cinéma pour mettre en scène plusieurs opéras, comme Manon Lescaut, Macbeth et La Traviata.

Charlotte Rampling - Vénéneuse et troublante

Fille d’un officier britannique, Charlotte Rampling s’installe très jeune en France, avant de rentrer dans son pays natal. D’abord mannequin, elle fait ses débuts au cinéma dans un film emblématique du New Cinema anglais, Le Knack… et comment l’avoir de Richard Lester, en 1965. Elle suit des cours d’art dramatique à la Royal Court School, et s’installe ensuite en Italie. C’est là qu’elle fait la rencontre — marquante — avec Luchino Visconti qui la dirige dans Les Damnés, en 1969. Très vite, elle s’impose par ses rôles de femmes habitées et torturées, de Portier de nuit (1974) de Liliana Cavani à Max mon amour (1986) de Nagisa Oshima, où elle s’éprend d’un chimpanzé.

Plus éclectique qu’il n’y paraît, elle tourne également aux …tats-Unis, devant la caméra de Woody Allen (Stardust Memories, en 1980) ou de Sidney Lumet (Le Verdict, en 1982). Se fixant en France au début des années 80, elle marque les esprits en incarnant la mystérieuse maîtresse d’un homme assassiné dans On ne meurt que deux fois (1985) de Jacques Deray. Elle n’hésite pas à travailler outre-Atlantique lorsqu’un projet l’intéresse — comme Angel Heart (1986) de Alan Parker — , mais elle se fait dès lors plus rare sur les écrans.

Toujours en quête d’univers singuliers, elle revient en force au début des années 2000 : épouse bouleversante après la disparition énigmatique de son mari dans Sous le sable (2000) de François Ozon, elle est à l’affiche de l’étrange Signs and Wonders (2000) de Jonathan Nossiter ou encore de la comédie de Michel Blanc, Embrassez qui vous voudrez (2002). On l’a encore vue dans Swimming Pool (2002) de François Ozon, Life During Wartime (2009) de Todd Solondz et Melancholia (2011) de Lars von Trier.

Dirk Bogarde - Acteur audacieux

Fils d’un comédien et d’une artiste, Dirk Bogarde est devenu, en quelques années, un grand acteur, doublé d’un auteur de best-sellers. Après des études d’art, il s’engage dans l’armée et se bat en Asie pendant la Seconde guerre mondiale, dont il revient en véritable héros.

Il débute sur grand écran en 1947, et se produit dans des films peu marquants où il s’impose malgré tout en jeune premier qui chavire le cœur des spectatrices. Mais au début des années 60, il est en quête de projets plus audacieux. C’est ainsi qu’il tourne dans Victim (1961) de Basil Dearden, où il incarne un avocat respectable rattrapé par son passé d’homosexuel. Deux ans plus tard, il entame une collaboration avec Joseph Losey qui explore le système des classes sociales britannique, de The Servant à Pour l’exemple (1964), sans oublier Modesty Blaise (1966) ou Accident (1967). On le retrouve encore dans Darling (1965) de John Schlesinger, Les Damnés (1969) de Luchino Visconti et Portier de nuit (1974) de Liliana Cavani.

Après s’être installé dans une ferme du sud de la France dans les années 70, il se fait plus rare sur les écrans, privilégiant sa carrière d’écrivain. Tout en publiant sept best-sellers, il choisit encore de tourner avec les plus grands cinéastes, comme Luchino Visconti (Mort à Venise, 1971) et Alain Resnais (Providence, 1976). Grand partisan du droit de mourir dans la dignité, il fait sa dernière apparition dans Daddy Nostalgie (1990) de Bertrand Tavernier, avant de s’éteindre en 1999.

Portier de nuit - La fascination du mal

Si l’on se souvient le plus souvent de Portier de nuit pour le parfum de scandale qu’il exhale, il faut aujourd’hui redécouvrir cette sombre plongée viscontienne, au cœur des déviances humaines, en oubliant une polémique d’un autre âge.

Grande connaisseuse du IIIème Reich auquel elle a consacré plusieurs documentaires, Liliana Cavani s’est inspirée, pour le film, des propos d’anciennes déportées, affirmant que l’expérience des camps les avait éclairées sur la nature humaine.  L’une de ces rescapées, s’appuyant sur Dostoïevski, aurait notamment confié à la cinéaste : “Les victimes ne sont pas toutes innocentes car une victime est aussi un être humain”. Fascinée par les situations extrêmes où les repères moraux sont bouleversés, la réalisatrice a alors imaginé, vingt ans à peine après la fin de la guerre, la relation sadomasochiste entre un ancien nazi et sa victime consentante. Mais contrairement à ce qu’a pu affirmer une bonne partie de la critique à l’époque de la sortie du film, Liliana Cavani n’a pas succombé à une fétichisation nauséabonde du nazisme. D’ailleurs, la dimension onirique et le climat d’étrangeté qui se dégagent de Portier de nuit déréalisent totalement le contexte historique. On est ici dans une fantasmagorie autour des rapports entre Eros et Thanatos, nimbée de bleu sombre, et Vienne semble être une ville déserte, surgissant d’un rêve. Dans cette puissante allégorie cinématographique, la cinéaste s’intéresse à la répétition névrotique et compulsive d’une relation entre deux êtres qui, dans le cadre hors normes des camps, échappait à toute considération morale. Plus captivant encore, les rapports s’inversent entre “maître” et “esclave” pendant la célèbre séquence de cabaret, où Lucia, seins nus et seulement vêtue d’un pantalon et d’une casquette de SS, chante et danse devant soldats et officiers. Dès lors, c’est la jeune femme qui mène le jeu et le “tortionnaire” qui devient son jouet.

D’une grande richesse formelle et thématique, Portier de nuit alerte également sur la résurgence, dans les années 70, d’une tentation pour une certaine forme de néofascisme et stigmatise la volonté d’amnésie de la société italienne autour de la période mussolinienne. En témoigne le groupe d’anciens nazis qui organise son propre “procès” dans le but de se laver de ses crimes. Très proche de Visconti, le film de Liliana Cavani soutient largement la comparaison avec Les Damnés, dont son auteur admirait Portier de nuit.